Team building : une plaisanterie douteuse justifie-t-elle le licenciement pour abus de la liberté d’expression
Publié leA l’heure de l’individualisation des tâches et du télétravail, le team building consiste à réinsuffler du collectif en favorisant l’essor de relations personnelles et amicales entre collègues. La participation à des activités ludiques dans une ambiance décontractée incite à la spontanéité et à la plaisanterie. Or, tel que le commente Cadre Averti, un arrêt de la Cour d’Appel d’Orléans du 1er janvier 2023 devrait inciter les salariés participant à un team building à la prudence.
Team building et liberté d’expression, selon le Conseil de prud’hommes il n’y avait pas d’abus.
Le salarié concerné, auquel il était demandé de suggérer une activité pour le prochain team building avait lâché une plaisanterie graveleuse « une partouse avec (E) ». Sur le moment il n’y avait eu aucune réaction. Ses collègues présents, uniquement masculins, ne s’offusquaient pas, de même que son supérieur hiérarchique qui ne remontait les propos tenus à la direction de l’entreprise que 14 jours plus tard. Monsieur Y, licencié pour faute grave, saisissait le Conseil de Prud’hommes d’Orléans en référé pour demander l’annulation de son licenciement et sa réintégration. Il obtenait gain de cause, le premier juge ayant constaté que selon les attestations produites ce genre de propos grivois tolérés dans le monde ouvrier avaient été tenus par d’autres personnes sans faire l’objet de sanction, sachant que Monsieur Y avait 20 ans d’ancienneté. Pour le Conseil de Prud’hommes « aucun abus dans l’usage de la liberté d’expression du salarié demandeur n’était caractérisé... alors qu’il est en revanche caractérisé une atteinte évidente à une liberté fondamentale dont les conséquences, à savoir le licenciement, ne sont pas proportionnées et constituent un trouble manifestement illicite ».
Pour la Cour d’Appel le salarié a abusé de sa liberté d’expression.
La Cour d’Appel (1er mars 2023, n° 22-01.671), considère concernant les propos que c’est à tort « que leur auteur a tenté de les minimiser et de les placer au rang d’une blague sans conséquence avec à l’appui le témoignage de certains de ses collègues ». En conséquence, « il ne peut être considéré, la liberté d’expression n’autorisant pas l’abus que constitue l’usage de termes particulièrement obscènes et injurieux envers une personne dénommée comme de l’ensemble des personnes présentes, que le licenciement d’un salarié ayant tenu de tels propos constituerait un trouble manifestement illicite ».
Team building : adopter un comportement spontané ou « aseptisé » ?
Le but du team building est de permettre aux membres d’une équipe de mieux se connaître en participant ensemble à des activités ludiques et de se révéler tels qu’ils sont dans la vie de tous les jours. L’exemple de Monsieur Y licencié au bout de 20 ans pour une plaisanterie graveleuse devrait inciter les extravertis qui ont le verbe haut et la plaisanterie facile à brider leur comportement et leur langage. Ce n’est que s’ils ont des relations de parfaite confiance avec tous les autres participants du team building qu’ils pourront laisser libre cours à leur spontanéité. Le fait que les activités du team building soient extraprofessionnelles ne protège aucunement des risques de sanction pour comportement et propos répréhensibles.
La participation au team building est-elle obligatoire pour les salariés ?
Si l’employeur organise des évènements festifs, dîners, spectacles auxquels il convie les collaborateurs en dehors des heures de travail il n’y a pour ces derniers aucune obligation de présence. Quid pour le team building consacré à des activités extraprofessionnelles mais pendant les heures de travail ? En l’absence de toute disposition concernant le team building dans le code du travail le salarié n’est lié par aucune obligation. Toutefois, au regard des avantages présentés, à savoir souder l’équipe et la rendre plus performante, maximaliser l’efficacité du travail, renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise, créer des liens profonds et amicaux, le salarié qui refuse d’office de participer à un team building se placera dans une position délicate.
Quand on participe à un team building peut-on refuser certaines activités proposées ?
Souvent le programme du team building est tenu secret justement pour éviter les défections à l’avance. On peut penser qu’une salariée pudique et qui n’a pas d’appétence pour le sport n’appréciera pas le rafting en maillot de bain ! Certes, si elle est mise devant le fait accompli la salariée pourra toujours refuser, n’étant pas dans un lien de travail. Ce sera contreproductif par rapport à l’esprit de cohésion recherché, et si elle se force par peur du quand dira-t-on ce sera pire. Pour que le team building fonctionne il est essentiel que le manager ou la DRH définissent des activités plaisantes pour tous, sans risque de générer des complexes pour certains et de la condescendance pour d’autres. S’il y a compétition, elle doit rester « bon enfant ».
Le manager qui oblige un salarié à participer à une activité peut-il être condamné ?
Oui, selon un arrêt de la Cour de Cassation (23 octobre 2019, n° 18-14.260) le manager peut être condamné. En l’occurrence, un manager avait sur instructions de son employeur et avec le concours d’un prestataire désigné par ce dernier organisé et supervisé une épreuve de team building consistant à marcher sur du verre brisé pieds nus. L’épreuve était basée sur le volontariat mais personne ne s’était désisté, sans doute par crainte d’être traité de couard ! Un collaborateur aurait « craqué » lors de son passage, s’estimant choqué physiquement et émotionnellement. Le manager faisait valoir qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres mais la Cour d’Appel confirmée par la Cour de Cassation lui reprochait de n’être pas intervenu « durant le stage pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs ». Le licenciement pour faute grave était maintenu.
On constate que tant pour les salariés qui y participent que pour les managers qui le supervisent, le team building, malgré son caractère ludique, peut être source de danger.