Réforme des retraites, les vrais enjeux décryptés par Gérard Mardine (CFE-CGC)
Publié leLa réforme des retraites est-elle vraiment nécessaire ? Quels sont les vrais enjeux. Cette semaine, Cadre Averti interroge Gérard Mardine, Secrétaire Général du syndicat CFE-CGC. Dans cette interview il revient sur les faux arguments avancés pour justifier une réforme qui si elle est adoptée, aurait des conséquences significatives, en particulier pour les femmes et les seniors. Selon Gérard Mardine loin de la « faillite » évoquée, le système de retraite actuel est excédentaire et devrait le rester si les bonnes mesures sont prises.
Dans un tract, la CFE-CGC rappelle son opposition totale à tout décalage de l’âge de départ à la retraite. Pourquoi le projet est selon vous non fondé et lourd de conséquences ? Que pensez-vous de l’agenda du gouvernement ?
Ce projet est infondé d’abord parce que les éléments de langage du gouvernement pour essayer de le justifier sont changeants et pour l’essentiel faux. Les premiers éléments mentionnés en septembre 2022 dans le projet de loi de finances pour 2023 invoquaient ce projet de réforme des retraites incluant un report de l’âge légal de départ comme contribuant à une baisse nécessaire des dépenses de l’Etat en relation, voire en compensation d’une mesure diminuant les recettes de l’Etat via la suppression non conditionnée d’un impôt payé par les entreprises, la CVAE. Le besoin de financer davantage notre système de santé et l’école a également été cité sans pour autant mobiliser d’autres ressources du budget de l’Etat, à commencer par une lutte efficace contre la fraude et l’évasion fiscales.
Face à l’opposition généralisée de devoir considérer notre système de retraites comme une variable d’ajustement du budget de l’Etat, le gouvernement a changé ses éléments de langage en tentant d’expliquer, à contre-courant de la synthèse affichée dans le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR)« ses résultats ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite », que notre système de retraites allait connaitre un déficit important, Gabriel Attal employant même récemment le terme de faillite alors que c’est complètement faux.
Ce projet de réforme serait lourd de conséquences car il conduirait beaucoup de nos concitoyens à devoir prendre leur retraite plus tardivement, en particulier les femmes ayant eu des enfants et validé à ce titre des trimestres de cotisation ; cela sans aucune garantie sur l’amélioration des conditions de travail en fin de carrière et sur l’emploi des séniors.
L’agenda précipité du gouvernement est clairement incompatible avec une analyse sérieuse de tous les impacts de l’augmentation de l’âge légal de départ en retraite. Les discussions avec le gouvernement qui se sont déroulées au dernier trimestre 2022 ont été un simulacre de concertation. Nos demandes de projections complémentaires plus réalistes évoquées ci-après n’ont pas été réalisées et les impacts majeurs humains et financiers sur l’assurance chômage, sur l’assurance maladie et les régimes d’incapacité invalidité (du fait de l’augmentation des arrêts maladie avec l’âge), sur les régimes sociaux (RSA) ne font l’objet d’aucune évaluation. Pour la CFE-CGC la priorité devrait être à la conception intelligente d’une chronologie de mesures législatives devant d’abord viser le travail, l’emploi, la prévention de la pénibilité et la mise en place d’une gouvernance responsable dans les grandes entreprises afin de rééquilibrer le partage de la valeur en faveur des salariés et d’en faire des acteurs engagés de la transition écologique indispensable pour restaurer la confiance des jeunes générations en l’avenir.
La CFE-CGC considère que le choix par le pouvoir exécutif d’un processus parlementaire raccourci via un projet rectificatif à une loi financière pour débattre d’un projet à caractère sociétal, combiné à des éléments justificatifs faux et à un manque de considération à ce stade de l’opposition immensément majoritaire démontrée par les sondages et le niveau inédit de la mobilisation sociale sont une véritable atteinte à notre démocratie.
Vous dites que la réforme des retraites n’est pas nécessaire sur le plan de l’équilibre global des régimes de retraite. Sur quels chiffres vous appuyez-vous ?
Nous avons analysé en détail les scénarios du rapport du COR (conseil d'orientation des retraites) et les hypothèses prises pour les établir avec la vision globale que la CFE-CGC juge indispensable sur ce dossier complexe. Nous avons été amenés à en réviser certaines pour qu’elles soient plus réalistes. La Première ministre ayant déclaré que notre système de retraites serait en l’absence d’une réforme déficitaire de 100 milliards€ sur les 10 prochaines années, nous en avons évalué avec rigueur les conséquences financières.
C’est en particulier le cas des projections futures d’espérance de vie qui influent fortement sur l’équilibre financier.
L’espérance de vie n’augmente malheureusement plus depuis 8 ans. Les projections futures d’espérance de vie doivent d’abord être estimées à partir de l’évolution de ses déterminants (état du système de santé et des hôpitaux, niveau des pollutions environnementales…) plutôt qu’en prolongeant en aveugle les tendances passées de très long terme qui masquent la stagnation récente et qui mènent à projeter une hausse future de l’espérance de vie d’un an tous les dix ans, laquelle est loin d’être acquise comme l’a montré la publication récente des chiffres 2022 par l’Insee et comme l’a confirmé Hervé Le Bras, expert démographe à l’Institut National d’Etudes Démographiques.
L’hypothèse réaliste d’espérance de vie constante conduirait à améliorer l’équilibre financier du système de retraites de 47 milliards€ sur les 10 prochaines années.
Une amélioration volontariste de l’emploi des séniors permettrait de générer des ressources supplémentaires conséquentes que le projet du gouvernement n’a pas chiffré mais que le Cercle des Economistes considère comme une source majeure de recettes supplémentaires. Les dispositions visant à améliorer l’emploi des séniors qui, pour être efficaces, doivent prioritairement conduire au maintien des salariés séniors dans leur entreprise jusqu’à l’atteinte des conditions légales actuelles de liquidation de leur retraite (soit entre 58 et 63 ans), doivent avoir un impact rapide et ne pas se limiter à la mise en place d’un index séniors uniquement symbolique et objet de communication du gouvernement.
Le scénario chiffré par la CFE-CGC considère une réduction du nombre de séniors, en non-emploi actuellement, de 100 000 par an de 2024 à 2028. En considérant un salaire moyen en fin de carrière de 40 000 € bruts par an, cela conduit à des recettes supplémentaires de 41 milliards€ sur les dix prochaines années.
Une amélioration du financement des retraites est tout à fait possible. Les régimes de retraites des salariés du secteur privé et les régimes spéciaux sont bien gérés, sont excédentaires en 2021 et 2022 et ont su constituer des réserves importantes (près de 180 milliards€) pour anticiper la vague démographique du papy-boom qui va se poursuivre encore quelques années.
Le problème majeur de financement vient du sous-financement par l’Etat des retraites des fonctionnaires du fait du blocage très long du point d’indice de la fonction publique et de la diminution des embauches au statut qui fait que le ratio actifs-retraités est de 0,9 dans la fonction publique là où il est de 1,9 dans les autres régimes (et donc de 1,7 en moyenne globale). La CFE-CGC s’oppose fermement à ce que ce soit le durcissement des conditions de départ à la retraite de nos concitoyens qui pallie à cette impéritie de l’Etat très mauvais gestionnaire du régime des salariés dont il a la responsabilité.
De plus un retour à un partage de la valeur plus favorable aux salariés que celui du scénario retenu par le gouvernement amènerait des ressources supplémentaires significatives. Les données de la Banque de France montrent que, entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés a baissé significativement, passant de 59,3 % à 54,9 % du PIB, alors que la part revenant aux actionnaires a triplé, passant de 5,2 % à 15,8 %, niveau confirmé par le record de 80 milliards€ de rétribution des actionnaires par les entreprises du CAC40 en 2022. Ce phénomène pénalisant les ressources de notre système de retraite est principalement lié à la financiarisation croissante menée par les directions générales des grandes entreprises ces vingt-cinq dernières années. Un rééquilibrage doit intervenir rapidement.
La CFE-CGC a donc chiffré l’impact d’une augmentation de 2% de la part des rémunérations dans le PIB intervenant dès l’année 2025 du fait de la promulgation avant fin 2023 d'une loi instituant gouvernance d'entreprise responsable et conditionnalité des aides publiques. Une telle augmentation de la masse salariale, générant des cotisations supplémentaires pour les retraites, est justifiée par des augmentations de salaires et des créations d’emplois en France résultant de davantage d’investissements imposés par une amélioration de notre autonomie stratégique, la transition écologique et l’amélioration des services publics. Cette mesure améliorerait l’équilibre financier de 110 Mds€ sur les dix prochaines années.
Ces chiffrages réalistes conduisent à une amélioration du solde financier de 198 Mds€ sur les dix prochaines années par rapport au scénario central du COR. On n’est donc pas comme le prétend le gouvernement sur un déficit de 100 Mds€ sur les dix prochaines années mais sur un excédent de 98 Mds€ qui permettrait largement de financer, tout en ayant un régime à l’équilibre dans les conditions légales d’âge de départ actuelles, l’augmentation des petites pensions et la limitation de l’érosion planifiée des pensions sans pénaliser lourdement l’ensemble des salariés et en particulier les femmes ayant eu des enfants qui peuvent très majoritairement partir aujourd’hui à 62 ans. Il y aurait de plus des gains financiers significatifs sur d’autres régimes, en particulier du fait de dépenses moindres d’assurance chômage et des systèmes de solidarité (RSA…), alors qu’une augmentation de l’âge légal de départ aurait un effet inverse très important. De plus les mesures décrites ci-dessus auraient également un effet très positif au-delà des dix prochaines années. La CFE-CGC apporte donc la démonstration chiffrée qu’il n’y a aucune nécessité à augmenter dans l’urgence et sans analyse d’impact globale les conditions légales d’âge départ en retraite.
Au quotidien, au niveau national comme dans les territoires, la CFE-CGC - syndicat des cadres, techniciens, agents de maîtrise et des fonctions publiques - négocie, signe des accords et obtient de nouveaux droits pour les salariés. Pourquoi appeler aujourd’hui à manifester ? La négociation n’est pas possible ?
La CFE-CGC est très attachée au dialogue social mais celui-ci doit être loyal pour déboucher sur des accords. La posture actuelle de l’exécutif est d’essayer de trouver un accord politique avec le groupe des Républicains et absolument pas de parvenir à un compromis social via une négociation. Nous appelons nos concitoyens, qui ont bien compris que les syndicats étaient les meilleurs défenseurs de l’intérêt général, à manifester pour renforcer l’expression du rejet de cette réforme face à un gouvernement sourd à nos arguments de bon sens qui pousse une réforme dogmatique pour continuer à « privatiser les profits et mutualiser les pertes » en ne sollicitant des efforts que des seuls salariés.
Vous réclamez l’abandon de la réforme mais que réclamez-vous à la place ?
L’augmentation de l’âge de départ est une mesure injuste qui s’assimile à une punition collective. Des améliorations pourraient être apportées à notre système de retraites mais il faut également corriger toutes les inégalités et anomalies qui se construisent dans la vie active et le monde du travail. Un exemple criant est la précarisation de l’emploi via la croissance incontrôlée du statut d’indépendant, notamment les travailleurs des plateformes qui cotisent peu pour leur retraite future, ce qui fragilise la situation individuelle de ces personnes et l’ensemble de notre protection sociale. Il faut donc d’abord évoquer l’avenir du travail et le modèle d’entreprise bien commun dans le contexte des transitions en cours dans le cadre d’une réelle négociation. Il faut également dans un cadre de négociation définir les contours des améliorations à notre système de retraites et en évaluer tous les impacts. La situation financière actuelle de nos régimes permet de le faire sans précipitation.
La moitié des personnes liquidant leur retraite à 62 ans ne sont plus dans l’emploi depuis plusieurs années. C’est le fameux halo autour du chômage. Que prévoit la réforme sur ce point ? Les mesures envisagées sont-elles suffisantes ?
Le projet du Gouvernement ne prévoit que la mesure cosmétique de mise en place d’un index séniors qui sera d’un effet négligeable s’il n’est pas accompagné de conditionnalités fortes pour les directions des entreprises, en particulier des plus grandes adeptes des plans de départs collectifs de leurs salariés séniors. Le gouvernement communique sur la baisse du chômage pour diminuer les droits à l’assurance chômage, ce qui va accroitre le sas de précarité de nombreux salariés avant leur départ en retraite. Mais sa communication ne porte que sur les demandeurs d’emploi de catégorie A (sans aucune activité dans la période récente) mais ignore à dessein les autres catégories de demandeurs d’emploi et le halo du chômage dont les données de l’INSEE montrent qui compte 2 millions de personnes. La CFE-CGC a fait 23 propositions pour l’emploi des séniors et promeut que les aides publiques aux entreprises soient notamment conditionnées au fait que leurs salariés séniors puissent conserver leur emploi jusqu’à l’atteinte de l’âge de départ en retraite.
Selon vous pourquoi le gouvernement refuse une négociation de fond sur l’emploi des seniors et les fins de carrière ? La réforme est-elle menée à l’envers ?
Oui, les sujets sont clairement abordés à l’envers. Les thèmes du travail, de l’emploi et d’un modèle d’entreprise responsable doivent être traités en premier et incluraient l’emploi des séniors. Mais les gouvernements depuis 2017 n’écoutent plus les organisations syndicales et sont devenus un porte-parole des positions des organisations d’employeurs, MEDEF en tête, qui défendent d’abord les intérêts des dirigeants d’entreprise plus que ceux des entreprises elles-mêmes.
Comment faire en sorte que les salariés et les cadres parviennent à réaliser une carrière professionnelle active complète ? Comment promouvoir l’employabilité des cadres après 50 ans ?
Il faut légiférer dans les sens décrits ci-dessus, le changement culturel visant à ne pas considérer les salariés que comme un coût n’étant pas pour demain chez la plupart des dirigeants d’entreprise. Les négociations salariales en cours qui génèrent de nombreux mouvements sociaux démontrent que dans de nombreuses grandes entreprises la rémunération des salariés est désormais une variable d’ajustement pour tenir la trajectoire future de résultats financiers publiée à l’avance. L’expérience acquise au cours de sa carrière est pourtant un réel facteur d’utilité et de compétitivité des entreprises, elle doit impérativement être reconnue et valorisée.
Finalement, les organisations syndicales sont unies contre la réforme et ont lancé collectivement une pétition qui dépassera bientôt le million de signatures. Est-ce selon vous le signe d’un renouveau du paysage syndical et social ?
Oui, nos concitoyens ont compris très majoritairement que les syndicats de salariés étaient des défenseurs engagés de l’intérêt général de notre pays. Pour ce qui concerne la CFE-CGC, nous avons mis l’accent sur la pédagogie pour dénoncer les arguments bidon du gouvernement. A titre d’exemple, le gouvernement communique sur l’évolution à la baisse du ratio actifs/retraités comme étant le seul paramètre conditionnant la soutenabilité future de notre système de retraites. Cet argument est réducteur et ignore que les gains de productivité ont rétribué les actionnaires plutôt que de bénéficier à la rémunération des salariés. Notre pédagogie sur le rééquilibrage indispensable du partage de la valeur a porté ses fruits et augmente notre crédibilité auprès des salariés.
J’ai confiance que cette mobilisation unitaire et forte qui va se prolonger les 16 février et 7 mars aboutisse prochainement au rejet de l’article 7 du projet de loi sur l’augmentation des mesures d’âge de départ.