Prise d’acte de rupture en l’absence de paiement du salaire
Publié leLes salariés peuvent prendre acte de la rupture de leur contrat de travail aux torts de leur employeur notamment en l’absence de paiement du salaire comme le rappelle une décision du 6 juillet 2022, n° 20-21.690. Pour la Cour de Cassation, l’absence de paiement du salaire mensuel imputable à l’employeur peut justifier la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié. Cadre Averti revient sur ce mode de rupture aussi méconnu que risqué.
En quoi consiste la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ?
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail consiste en la constatation par le salarié de la rupture de son contrat de travail en raison d’une violation grave et inexcusable des obligations contractuelles ou légales de l’employeur. La prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit être motivée par une faute grave. Si la faute grave n'est pas établie, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail peut être considérée comme abusive et le salarié peut être condamné à verser des dommages-intérêts à l’employeur. Il ne touchera en outre aucune indemnité.
Comment se passe une prise d'acte ?
Les étapes successives lors d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail sont les suivantes :
- Décision du salarié de mettre fin au contrat de travail de manière unilatérale. Cette décision doit être motivée par une faute grave de l’employeur.
- Notification de la décision du salarié à l’employeur par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette notification doit être faite dans les meilleurs délais après la survenance de la faute grave.
- Saisine du conseil de prud'hommes pour demander la requalification de la rupture en licenciement abusif et obtenir les indemnités correspondantes.
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail n'est pas une procédure à prendre à la légère, car elle peut entraîner des conséquences financières importantes pour le salarié. Il est donc conseillé de bien réfléchir et de solliciter l'aide d'un avocat ou d'un conseil juridique avant de décider de mettre fin au contrat de travail de manière unilatérale.
Comment justifier une prise d'acte ?
Pour établir l'existence d'une faute grave imputable à l’employeur, il est recommandé de rassembler tous les éléments de preuve disponibles, tels que des témoignages, des documents, des emails, etc. Ces éléments de preuve doivent être suffisamment convaincants pour justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Il convient, dans la lettre adressée à l’employeur, de motiver le plus précisément possible les raisons qui, selon le salarié, lui permettent de rompre son contrat de travail de façon immédiate.
Prise d’acte de la rupture du contrat de travail : quels sont les risques ?
Le salarié qui prend acte de la rupture du contrat de travail prend un certain nombre de risques :
- Risque de ne pas être indemnisé : si la faute grave invoquée par le salarié n'est pas établie, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail sera requalifiée par le Conseil de prud’hommes en démission. Le salarié ne percevra aucune indemnité.
- Risque de pas toucher d’allocations chômage : certes, dans un premier temps, le salarié qui prend acte de la rupture ne touche pas les indemnités Pôle Emploi. Il doit attendre pour cela que le Conseil de Prud’hommes lui donne raison et requalifie la rupture en licenciement abusif. Il percevra alors les indemnités Pôle Emploi de façon rétroactive depuis la fin de son contrat de travail. En revanche, si le Conseil de Prud’hommes considère que la prise d’acte de rupture n’est pas justifiée, il la requalifie en démission et le salarié ne percevra pas les indemnités Pôle Emploi.
- Risque de devoir indemniser l’employeur : Si le juge estime que les griefs invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte s'avèrent infondés, le salarié sera alors, généralement sur demande de l’employeur, condamné à lui verser le salaire correspondant à la période de préavis (3 mois pour les cadres) qu’il n’aura pas exécutée. Plus grave encore, l’employeur peut, en cas de prise d’acte de rupture non fondée, demander au Conseil de Prud’hommes de condamner le salarié à des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la brusque défection du salarié : impossibilité de le remplacer au pied-levé, désorganisation de l’entreprise, mécontentement des clients, perte de contrats et de chiffre d’affaires, etc... Le salarié risque alors d’être condamné à des sommes importantes. Ainsi, s’il s’avère que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail pour être embauché immédiatement par une société concurrente à laquelle il a apporté la clientèle de son précédent employeur, la sanction pourra être exemplaire !
Quels sont les manquements de l'employeur qui peuvent justifier la prise d’acte du salarié ?
Les manquements qui peuvent justifier la prise d'acte doivent constituer une faute grave de l'employeur, c'est-à-dire une violation grave et inexcusable de ses obligations contractuelles ou légales.
Voici quelques exemples de manquements de l'employeur qui peuvent justifier la prise d'acte du salarié :
- Le non-paiement de la rémunération ou de certaines primes ou indemnités prévues par le contrat de travail ou la loi
- Discrimination ou harcèlement commis par l'employeur
- Modification du contrat de travail sans l'accord du salarié
- Absence d'organisation des visites médicales obligatoires (sauf si l'absence de visite médicale est due à une simple négligence de l'employeur)
- Les agissements de harcèlement moral ou sexuel à l'égard du salarié.
- Les conditions de travail dégradées ou dangereuses pour la santé et la sécurité du salarié.
Prise d’acte de la rupture : une nouvelle illustration
Dans l'affaire du 6 juillet 2022, un salarié n'avait pas perçu son salaire de mai au 10 juin. Or la date limite était le 31 mai. Il a alors pris acte de la rupture de son contrat de travail et a attaqué son employeur devant le Conseil de Prud’hommes. Après avoir été rejetée en première instance, la demande du salarié a été accueillie en appel. L'employeur s’est pourvu en cassation au motif que la « prise d’acte de la rupture doit être suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, que tel n’est pas le cas lorsque ledit manquement est ponctuel, ou lorsque le salarié a agi de manière prématurée, sans permettre à l’employeur de régulariser la situation ». La Cour de cassation valide pourtant le raisonnement de la Cour d’appel. Le salaire du mois de mai n’avait pas été payé à la date de la prise d’acte le 10 juin. Or, ce manquement était imputable à l'employeur. La Cour d'appel pouvait donc en déduire que la faute de l’employeur avait empêché la poursuite de la relation de travail. Il ne faudrait cependant pas déduire de cette jurisprudence que le retard de paiement du salaire par l’employeur permettrait automatiquement au salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail et de quitter son poste immédiatement. Si l’employeur n’est pas de mauvaise foi, le retard étant dû à une erreur ou à une négligence, ou encore à une impossibilité de payer, la faute grave ne sera pas caractérisée.
Prise d’acte de rupture ou démission motivée ?
Le salarié qui entend rompre son contrat de travail en raison des manquements de l’employeur, mais qui craint que ces derniers ne soient pas reconnus comme suffisamment graves par le Conseil de prud’hommes pour justifier une prise d’acte de rupture avec départ immédiat, doit alors recourir à la « démission motivée ». Il adresse à son employeur une lettre recommandée par laquelle il annonce qu’il est dans l’obligation de donner sa démission en raison des agissements de l’employeur. Il motive sa démission en précisant quels sont ses griefs. Il annonce qu’il entend saisir le Conseil de prud’hommes pour demander la requalification en licenciement abusif de sa démission. Surtout, il annonce qu’il entend accomplir son préavis jusqu’au bout. Si le Conseil de prud’hommes lui donne raison, il obtiendra les indemnités du licenciement abusif. S’il perd, il ne pourra lui être adressé aucun reproche puisqu’il aura démissionné en accomplissant son préavis. Il ne s’exposera donc pas à des condamnations financières.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 juillet 2022, 20-21.690, Inédit
En raison des risques financiers qu’elle entraîne pour le salarié, la prise d’acte de rupture doit être réservée aux cas particulièrement graves, la faute inexcusable de l’employeur rendant impossible l’exécution du préavis.