CADRE AVERTI
Pilosité au travail : que dit la loi ?
Publié leA travers les époques, la façon dont on porte le poil et le cheveu a toujours traduit des modes et des normes sociales. Mais aujourd’hui un employeur peut-il obliger un salarié à se faire couper les cheveux ou la barbe ?
En principe non : interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique
L’interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique oblige les employeurs et de l’administration à justifier des limitations qu’ils imposent à leur personnel ou agents en matière coiffures et/ou de pilosité faciale. Des restrictions peuvent être admises en matière d’hygiène, de santé et de sécurité, ou encore si elles sont en lien avec l’image de marque. Dans le secteur public, elles peuvent également être fondées sur les devoirs de réserve, de neutralité et l’obligation de dignité de tout agent public. Le Code du travail rappelle en effet que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (C. trav. art. L. 1121-1). Ceci nécessite de mettre en balance les intérêts légitimes des employeurs avec le droit au respect des libertés des personnes, leur santé et leur sécurité au travail ainsi que le droit de la non-discrimination, tout en prenant en considération l’évolution des modes et des codes sociaux.
Restriction en matière d’hygiène et de sécurité
Selon une jurisprudence constante, le non-respect des mesures d’hygiène corporelle, tel qu’avoir des cheveux propres, les attacher ou porter une charlotte de protection, notamment lorsque les salariés ou les agents publics sont en contact avec des denrées alimentaires ou travaillent dans le secteur médical, peut valablement justifier des sanctions.
Ainsi, par exemple : le fait pour un ouvrier pâtissier d’avoir des cheveux sales et longs qu’il n’arrive pas à cacher sous sa toque conformément au règlement intérieur et qu’il remet en place avec ses mains sans les laver permet de justifier tant sa mise à pied que son licenciement (CA Paris 28 mars 1989, n° 35799/86).
Le fait d’imposer des cheveux attachés peut également relever de mesures de sécurité (notamment pour les femmes sapeurs-pompiers et le personnel militaire). Il faut toutefois s’assurer que ces mesures générales soient effectivement dûment justifiées au regard du poste occupé et proportionnées pour être conformes au droit de la non-discrimination fondée sur l’apparence physique.
Est également justifié le licenciement d’un salarié travaillant dans une société de démantèlement et de logistique nucléaire qui refuse de raser sa barbe au mépris de consignes de sécurité dument justifiées et proportionnées (CA Nîmes 21 juin 2016 n° 14/04558). En effet, en cas d’exposition du salarié à des rayons nocifs, l’employeur avait démontré qu’il était dans l’impossibilité d’adapter les équipements de sécurité aux barbus.
Restriction en raison de l’image de marque
L’apparence physique d’un salarié peut même justifier la rupture du contrat de travail si la coiffure excentrique adoptée est incompatible avec les fonctions et nuit gravement aux intérêts de l’entreprise. Ainsi, un employeur est en droit de sommer un employé de banque ayant la tête rasée sur les côtés et surmontée d’une crête jaune centrale gominée de revenir à une coiffure plus discrète (CA Paris 7 janvier 1998, n° 86-34010).
L’apparence physique d’un soignant mal rasé a également pu être entendue comme ne participant pas à l’image de « la plus grande propreté corporelle » requise par le règlement intérieur d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (CA Versailles 31 août 2011 n° 10/03526).
En revanche, le port de cheveux longs par les hommes, lâches ou coiffés en chignon, figure de plus en plus dans les codes esthétiques actuels et semble correspondre à un véritable phénomène de mode. A titre d’illustration, le refus de promotion d’un attaché commercial en matière de téléphonie ne peut pas être justifié parce qu’il portait une queue de cheval et qu’il refusait de se couper les cheveux (CA Rennes 12 octobre 2011, n° 2011-030066).
Restriction en fonction de l’emploi occupé
En réalité tout dépend de l’emploi occupé. Ainsi, l'interdiction faite aux policiers de sexe masculin de porter des cheveux longs, alors que cela est permis pour les policiers de sexe féminin à condition qu’ils soient coiffés en chignon, a été jugée justifiée en 2009 et confirmée par la cour administrative d’appel de Marseille en 2011. Selon les termes mêmes de cet arrêt de la Cour, la « différence de perception sociale de l'apparence des genres masculin et féminin, notamment en termes de figures d'autorité », constituait une différence objective de situation entre policiers des deux sexes agissant en uniforme, même s'ils exerçaient des fonctions similaires, de nature à justifier la formulation d'exigences spécifiques en ce qui concerne les soins à apporter à leur coupe de cheveux (CAA de Marseille du 29 novembre 2011, n° 11MA00838).
Restriction de l’expression religieuse
Enfin, la barbe ou les cheveux peuvent aussi, dans certaines circonstances, être analysés comme un signe religieux quand ils constituent une manifestation de la foi. La liberté pileuse est alors protégée non seulement par le droit de la non-discrimination fondé sur l’apparence physique mais également celui fondé sur les convictions religieuses. Dans ce cas les restrictions à la liberté religieuse doivent également être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.
Dans une affaire récente (Cass. Soc. 8 juillet 2020 n°18-23.743), dans la mesure où aucune clause de neutralité ne figurait dans le règlement intérieur de l’entreprise, l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifestait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre, caractérisaient une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié. Dès lors le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur un motif discriminatoire de sorte que le licenciement était nul en application de l’article L. 1132-4 du code du travail. A l’inverse, dans l’emploi public, où le principe de neutralité s’applique, la confusion possible entre barbe et signe religieux peut constituer une faute de nature disciplinaire justifiant l’adoption d’une sanction (CAA Versailles 19 décembre 2017, n° 15VE03582).
En définitive, dans la plupart des entreprises, rien ne justifie l’interdiction totale d’une certaine expression capillaire. En revanche, les salariés sont invités à garder un style soigné. Depuis quelques années les employés de Disneyland peuvent par exemple porter la barbe à condition que celle-ci soit parfaitement taillée. Il convient généralement de se reporter aux documents (règlement intérieur, contrat de travail, note de service, circulaire etc...) qui peuvent relever toutes les contraintes et restrictions éventuelles en matière d’apparence physique et de présentation justifiées par la nature de l’emploi occupé et de la tâche à accomplir. Dans une décision-cadre n°2019-205 du 2 octobre 2019, le Défenseur des droits recommande d’ailleurs que « les exigences liées à l’apparence physique, si elles sont légitimes, soient alors expressément consignées dans un document écrit, tel qu’un règlement intérieur (…) ».
Discrimination : Les questions et actualités qui peuvent vous intéresser
Comment identifier une discrimination ?
Comment dénoncer une discrimination dans son entreprise ?
Preuve de la discrimination : peut-on contraindre l’employeur à produire des bulletins de paie d’autres salariés ?
Loi contre la discrimination capillaire : quelles conséquences pratiques au travail
Les tests en matière de discrimination bientôt pris en charge par l’État ?
À propos de Cadre Averti
Conçu par Françoise
de Saint Sernin, avocate spécialisée dans la défense des
intérêts des cadres et dirigeants au sein du cabinet saintsernin-avocats.fr,
Cadre Averti a pour ambition de
répondre aux premières interrogations de salariés confrontés à un aléa de carrière. Ce site propose
ainsi un grand nombre de fiches techniques permettant immédiatement de
comprendre les enjeux d’un dossier et de se repérer dans le maquis des textes.