Peut-on être licencié à cause d’une photo prise à son insu ?
CADRE AVERTI
Peut-on être licencié à cause d’une photo prise à son insu ?
Publié le
Le licenciement d’un agent de propreté pris en photo par un passant alors qu’il était en train de faire une sieste indigne les réseaux sociaux. Cadre Averti fait le point juridique sur cette affaire qui n'a pas fini de faire parler.
La photo d’un internaute à l’origine de la polémique
Sur Twitter, plusieurs personnalités ont fait part de leur indignation en apprenant le licenciement de Adama Cissé. Âgé de 37 ans, cet ex-agent de propreté à Paris en CDI s’est retrouvé licencié par l’entreprise Derichebourg après qu’une photo de lui ait circulé sur les réseaux sociaux en septembre 2018 et qui le montre dans sa tenue de travail, allongé, chaussures et chaussette à côté de lui. Sur Twitter, la personne qui a posté l’image s’offusque : « Voilà à quoi servent les impôts locaux des Parisiens à payer les agents de propreté à roupiller, on comprend pourquoi Paris est si dégueulasse ». Si la mairie de Paris, cliente de Derichebourg, assure n’avoir pas demandé de sanction, elle se serait toutefois tournée vers son prestataire pour des explications après la mise en ligne de la photo. Le 11 octobre 2018 l’agent d’entretien s’est ainsi vu notifier son licenciement pour faute grave. Selon la lettre de licenciement : « Durant votre vacation, vous avez été vu allongé sur le rebord d’une vitrine d’un commerce, et vous aviez quitté vos chaussures de sécurité. Cette attitude révélant votre volonté de vous assoupir durant votre service a fait l’objet d’une sévère réclamation de notre client ».
Une photo prise à l’insu d’un agent d’entretien dans l’espace public
La première question qui se pose est celle de la validité de la preuve. La photo est-elle un moyen de preuve valable ? Le droit à l’image découle du droit au respect de la vie privée prévu à l’article 9 du Code civil. Ainsi, comme l’indique la Cour de cassation « toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa reproduction » (Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393). Toutefois, selon la jurisprudence, quand la photographie est faite dans un lieu public, l’autorisation de la personne photographiée n’est pas nécessaire lorsqu’elle n’est pas le sujet principal de la prise de vue ou n’est pas reconnaissable (Cass. Civ., 5 avril 2012, n° 11-15328). Ainsi, la photo n’a donc pas été volée au sens propre du terme, puisqu’elle a été prise dans l’espace public afin d’illustrer une actualité plus générale par un internaute. Même si ce dernier n’est pas journaliste, les réseaux permettent à tous de couvrir ce qu’un juge pourrait qualifier de fait d’actualité.
Est-ce qu’il y a faute de l’agent ?
La deuxième question que devront se poser les juges est celle de la faute éventuellement commise par l’agent.
Tout d’abord, était-il en pause ? Selon le salarié, la photo aurait été prise lors d’un temps de pause et la tournée aurait été terminée à l’heure. Cette version semble corroborée puisque c’est le seul agent a avoir été inquiété alors que c’est le chauffeur du camion qui décide généralement du moment de la pause et sa durée.
La seconde question qui se pose est de savoir s’il était sur son lieu de travail ? Alors que de nombreux pays reconnaissent les bénéfices d'une petite sieste, en France les siestes même pendant les temps de pauses ne sont pas toujours tolérées dans l’espace de travail. En effet, le salarié n'est pas toujours libre de vaquer à des occupations personnelles. Dans ce cas, le temps de pause est alors considéré comme du temps de travail effectif et est rémunéré. C'est par exemple l'hypothèse d’un cuisinier contraint de prendre ses repas sur place, cette période de pause « casse-croûte » constitue alors un temps de travail effectif (Cass soc 4 janvier 2000 n°97-43026). Bien qu’en pause, le salarié est toujours à la disposition de l’employeur.
Toutefois, pour sanctionner un salarié, l’employeur doit être en mesure de prouver la date et la durée de la sieste. Selon la jurisprudence : « Si les temps de sieste reprochés ne sont pas datés et leur durée n’est pas indiquée, le grief n’est pas établi » (CA Angers n°09/02711). Ces éléments seront particulièrement difficiles à rapporter.
Le préjudice d’image est-il suffisant pour justifier le licenciement ?
Finalement, la seule chose qu’on peut reprocher au salarié c’est de s’être allongé pendant son temps de pause et d’avoir causé un préjudice d’image à l’entreprise. La Cour de cassation estime en effet qu’il peut être procédé à un licenciement si le comportement du salarié compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (Cass. soc., 22 janv. 1992, n°90-42.517). Pour la société : « cette attitude révélant votre volonté de vous assoupir durant votre service a fait l'objet d'une sévère réclamation de notre client ». De son côté, Adama Cissé affirme avoir enlevé ses chaussures de sécurité en raison de douleurs au pied gauche et dénonce le principe de cette photo. « On a travaillé comme il faut et c'est le chef qui décide si on prend notre pause. Moi j'avais mal à la cheville. On m'a pris en photo, personne n'est pas venu vers moi pour me demander pourquoi j'étais allongé ».
La décision du Conseil de Prud’hommes de Créteil sera rendue le 19 juin 2020.
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