Oui, le « flicage » des salariés peut être, selon la Cour de Cassation, qualifié de harcèlement moral.

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Oui, le « flicage » des salariés peut être, selon la Cour de Cassation, qualifié de harcèlement moral.

Les méthodes de management déployées au sein d’une entreprise peuvent-elles constituer du harcèlement moral alors qu’elles ne s’appliquent qu’aux postes de travail et non pas aux salariés pris individuellement. Par un arrêt du 3 mars 2021, la Cour de Cassation confirme que les procédés de surveillance constante décrits comme du « flicage » et engendrant de la « souffrance au travail » chez les salariés, sont constitutives de harcèlement moral. 

Des conditions de travail très dures allant jusqu’à l’interdiction d’aller aux toilettes en dehors des temps de pause (sauf à rester connecté)

Dans ce centre d’appel de 700 personnes tout est orchestré pour soumettre les salariés au rendement maximum :  

  • des écoutes permanentes de salariés par casque pendant leur appel,
  • une notation constante par leur supérieur, sans explication sur la méthodologie appliquée,
  • la mutation des salariés entre différentes opérations à titre de sanction,
  • des convocations à des « briefs » s’apparentant en pratique à des entretiens disciplinaires, desquels les salariés ressortaient régulièrement en pleurs,
  • un chronométrage systématique des pauses et une interdiction de s’absenter pour aller aux toilettes hors temps de pause ou alors en restant connecté, impactant dès lors leurs statistiques d’appel et leurs primes,

De telles méthodes dénoncées par les salariés, par le médecin du travail, par l’inspection du travail, et relayées par la presse locale, n’avaient pas été reconnues comme du harcèlement moral collectif, l’employeur faisant valoir que « de simples contraintes imposées par des impératifs de gestion ne sauraient contribuer à la reconnaissance d’un harcèlement moral ». Ainsi les plaintes déposées par quatre salariés avaient été classées sans suite.

Un salarié tente sa chance devant le Conseil des Prud’hommes. 

Monsieur S., superviseur, disposait d’atouts pour faire reconnaître qu’il avait été victime de harcèlement moral. En effet, il produisait de nombreuses attestations d’autres salariés victimes des mêmes procédés. Concernant son cas personnel, il précisait avoir subi des changements d’équipes, d’horaires, d’affectation, qui avaient affecté son état de santé. Il faisait état d’une tentative de suicide commise dans les locaux de l’entreprise, de son hospitalisation consécutive, de ses arrêts de travail, de sa reprise à mi-temps thérapeutique.

Toutefois, il avait dans son dossier un handicap. En effet, il avait quitté de lui-même l’entreprise, et il avait saisi le Conseil des Prud’hommes pour que ce soit l’employeur qui soit considéré comme responsable de la rupture du fait des agissements de harcèlement moral. Or, quand c’est le salarié qui provoque la rupture du contrat de travail, généralement parce qu’il a un autre emploi qui l’attend, il est difficile de faire condamner l’employeur à lui verser des indemnités. 

Pour la Cour d’appel, le salarié ne démontre pas en quoi les méthodes de management de l’employeur relèvent du harcèlement moral.

Pour débouter le salarié de ses demandes, la Cour d’appel, confirmant la décision précédemment rendue par le Conseil des Prud’hommes, lui faisait deux reproches : 

  1. Il s’était contenté de produire aux débats « un dossier de pièces communes aux salariés ayant saisi la juridiction prud’homale »qui aurait porté sur « des considérations trop générales sur les méthodes de gestion du centre d’appel » et ne permettant donc pas de retenir le harcèlement moral « collectif ».
  2. « dans la mesure où le harcèlement moral collectif n’est pas retenu »Monsieur S. doit apporter les éléments relatifs au harcèlement moral dont il se plaint, personnellement.

Or, pour la Cour d’appel, il n’y avait pas lieu de retenir les propos de Monsieur S. faisant état de sa tentative de suicide et de son hospitalisation, ce parce que c’est lui qui les aurait relatés dans une attestation qu’il se serait faite à lui-même et qui ne serait donc pas recevable.

Selon la Cour de Cassation, le « harcèlement moral collectif » était établi. 

En effet, la Cour de Cassation rappelle, dans son arrêt du 3 mars 2021, que la première raison pour laquelle la Cour d’appel a débouté Monsieur S., c’est parce que les éléments apportés par ce dernier « portaient sur des considérations trop générales concernant les méthodes de gestion du centre d’appel dirigé par la société, et ne démontraient donc pas le harcèlement moral collectif ».

Toutefois selon la Cour de Cassation, la Cour d’appel aurait dû forcément reconnaître le harcèlement moral collectif, puisque c’est ce qui résultait de ses propres constatations :

« Alors qu’elle avait relevé que plusieurs salariés témoignaient d’une part de pressions en matière d’objectifs imposés aux directeurs de projets, aux responsables de projets, aux chargés de terrain, aux superviseurs et aux télé conseilleurs par une organisation très hiérarchisée du directeur de site et qui se traduisait par une surveillance des prestations décrites comme du « flicage » et d’autre part d’une analyse de leurs prestations qu’ils ressentaient comme une souffrance au travail ».

Ainsi, alors qu’elle décrit là très exactement des procédés de harcèlement moral collectif, la Cour d’appel ne pouvait reprocher à Monsieur S. de n’avoir pas démontré ce dernier. 

En cas de harcèlement collectif reconnu, tous les salariés peuvent-ils se retourner contre l’employeur ? 

C’est le suspense qui demeure. En effet, la Cour de Cassation, si elle a reconnu le harcèlement moral collectif, a renvoyé l’affaire devant une autre Cour d’appel, pour juger à nouveau l’affaire au fond. C’est donc la Cour d’appel de Reims qui devra se prononcer pour déterminer si alors que le harcèlement moral collectif, c’est-à-dire s’appliquant à l’ensemble des salariés, est reconnu, Monsieur S. devait quand même démontrer en quoi il en avait été personnellement victime, ou s’il a droit d’emblée aux indemnités de rupture de son contrat de travail, sa prise d’acte de rupture étant requalifiée en licenciement abusif. La différence est très importante. En effet dans le premier cas, seuls sont indemnisés les salariés qui démontrent avoir subi personnellement du harcèlement moral. Dans le second cas, tous les salariés d’une même entreprise accusée d’avoir mis en place des méthodes de gestion caractérisant le harcèlement moral collectif, auraient vocation à réclamer des indemnités en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi et, en cas de départ, même à leur initiative, ils pourraient faire condamner l’entreprise à leur verser des indemnités de rupture.

 

Face à un tel risque, les entreprises peu scrupuleuses qui pensent pouvoir soumettre en toute impunité leurs salariés à des conditions de travail inadmissibles (notamment au moyen d’accords de performance collective) pourraient être amenées à changer de comportement.

 

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