Licencié pour avoir dénoncé une situation de harcèlement : nouvelle jurisprudence en faveur du salarié
Publié leLes cas où le salarié se fait licencier peu après avoir dénoncé une situation de harcèlement sont fréquents. Jusqu’à présent le salarié obtenait rarement la nullité du licenciement faute de pouvoir prouver que le licenciement était en réalité une mesure de rétorsion, en réaction à sa plainte pour harcèlement. Or, la Cour de cassation vient d’inverser la charge de la preuve en cas de licenciement jugé abusif. C’est l’employeur qui désormais doit démontrer l’absence de lien entre la dénonciation du harcèlement et le licenciement. Cadre Averti expose les conséquences de cette décision très favorable aux salariés.
La grande différence entre le licenciement abusif et le licenciement nul.
L’employeur qui licencie un salarié en réaction à une dénonciation de harcèlement s’expose non pas seulement à un licenciement abusif mais à un licenciement nul. En cas de licenciement abusif il sera uniquement condamné à payer au salarié, outre l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement due à l’ancienneté, des dommages et intérêts plafonnés par le barème Macron dans les proportions suivantes : environ 1 mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans, environ ½ mois pour les années supérieures à 10 ans avec un maximum de 20 mois de salaire.
Ainsi, un salarié ayant 3 ans d’ancienneté ne pourra pas obtenir plus de 4 mois de dommages et intérêts en cas de licenciement reconnu comme abusif, et ce quelles que soient les circonstances. Il n’a donc même pas intérêt, en raison d’un enjeu aussi faible, à saisir le Conseil de prud’hommes.
En cas de nullité du licenciement, les conséquences sont beaucoup plus lourdes pour l’employeur. Si le salarié demande sa réintégration, il devra payer le salaire qui a couru entre le jour de l’expiration du contrat de travail et le jour de la réintégration, soit généralement plusieurs années de salaire (déduction faite cependant des revenus perçus entretemps : indemnités pôle emploi, autres salaires). En effet, c’est généralement la Cour d’appel, juridiction de deuxième degré qui prononce la sanction exécutoire au bout de plusieurs années de procédure. De surcroît, comme l’employeur ne veut généralement pas réintégrer un salarié sur décision judiciaire plusieurs années après, il propose souvent au salarié un licenciement négocié.
Pour obtenir la nullité du licenciement, le salarié devait prouver qu’il était la conséquence de la dénonciation de harcèlement.
Or, cette preuve était très difficile à apporter, le bref délai entre la dénonciation du harcèlement et la convocation à un entretien préalable au licenciement n’étant pas suffisant. Ainsi, si le salarié fait valoir qu’il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement dans la foulée de sa plainte pour harcèlement, l’employeur pourra soutenir le contraire, à savoir que le salarié averti de son prochain licenciement se sera précipité à dénoncer le harcèlement. Dans les faits, faute de pouvoir apporter la preuve formelle de ce qui s’était passé dans la tête de l’employeur, le salarié était souvent débouté de sa demande de nullité du licenciement, et même si ce dernier était reconnu non-fondé.
Une cuisinière licenciée pour faute grave après avoir reproché à son employeur de la harceler sexuellement.
La Cour de Cassation pour ériger sa nouvelle jurisprudence favorable au salarié en matière de preuve, prend un exemple « a contrario ». Elle sanctionne le 18 octobre 2023 (pourvoi n° 22-18.678) un arrêt de la Cour d’appel pour avoir annulé un licenciement au seul motif que « les faits reprochés à la salariée au sein de la lettre de licenciement sont concomitants à la date à laquelle le salarié a déposé plainte ». Or, il ne faut pas d’emblée exclure l’hypothèse d’une salariée qui, coupable des faits qui lui étaient reprochés, à savoir refus réitéré d’accomplir des tâches lui incombant, actes d’insubordination et abandons de poste, aurait, en réaction, accusé faussement son employeur de la harceler sexuellement. Selon la Cour de cassation il fallait, dans un premier temps « rechercher si les motifs énoncés par la lettre de licenciement pour caractériser la faute grave étaient établis par l’employeur ».
Si le licenciement est fondé c’est le salarié qui doit prouver le lien avec la dénonciation du harcèlement.
Selon l’arrêt du 18 octobre 2023 « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel ». La tâche du salarié sera alors particulièrement ardue. Pour obtenir la nullité du licenciement alors que ce dernier est jugé bien fondé, il devra disposer d’éléments incontournables comme, par exemple, la preuve écrite de la décision de l’employeur de le licencier pour le punir de sa dénonciation de harcèlement.
En cas de licenciement abusif c’est à l’employeur de prouver l’absence de lien avec la dénonciation du harcèlement.
C’est la nouveauté jurisprudentielle. La Cour de Cassation fait la distinction selon que le licenciement est fondé ou abusif. Dans le second cas elle inverse la charge de la preuve « Dans le cas contraire (soit licenciement abusif) il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement ». Or, comment l’employeur pourra-t-il prouver, alors qu’il sera établi qu’il n’avait pas de raison sérieuse de licencier, puisque le licenciement aura été reconnu comme abusif, qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de rétorsion vis-à-vis du salarié ? Il devra alors démontrer de façon irréfutable que la décision de licenciement était prise avant la réception de la plainte pour harcèlement. A défaut, c’est la nullité du licenciement qui sera prononcée.
Alors que le salarié qui réclamait la nullité du licenciement avait du mal à l’obtenir, même en cas de licenciement reconnu comme abusif, désormais ce sera le contraire. Rares seront les cas où l’employeur pourra, toujours en cas de licenciement considéré comme abusif, éviter que ne soit prononcée la nullité de ce dernier en cas de plainte pour harcèlement préalable.
Cas particulier : que se passe-t-il quand l’employeur mentionne dans la lettre de licenciement la dénonciation du harcèlement ?
Dans un tel cas, l’employeur devra impérativement prouver que la dénonciation du harcèlement est intervenue de mauvaise foi. Or, cette preuve est très difficile à apporter. En effet, il ne suffit pas d’établir que les faits de harcèlement étaient inexistants, il faut démontrer que le salarié avait conscience du caractère mensonger de ses accusations. Or, un salarié peut très bien estimer de bonne foi que ses doléances vis-à-vis de l’employeur constituent des agissements de harcèlement, même s’il est finalement jugé que ce dernier n’était pas caractérisé.
Faute pour l’employeur de prouver la mauvaise foi du salarié, le fait que la dénonciation du harcèlement soit évoquée dans la lettre de licenciement sera considéré comme un motif « contaminant ». La nullité du licenciement sera alors prononcée pour cette seule raison, sans que ne soient pris en compte les autres motifs énoncés dans la lettre de licenciement, quels qu’ils soient.