Les licenciements post-Coronavirus seront ils privatifs de toutes indemnités ?
Publié leComme s’en est ému la presse ces derniers jours, désireux d’éviter les contraintes du licenciement économique, de nombreux employeurs procèdent à des licenciements ABUSIFS considérés comme plus simples, plus rapides et moins chers. En première ligne, des salariés bien en peine de faire respecter leurs droits devant la justice prud’homale. Pour juguler la crainte que suscite la vague massive de licenciements annoncée à la rentrée, il faut restituer à la juridiction prud’homale sa fonction dissuasive lui permettant d’appliquer la juste sanction pour un licenciement abusif.
La méthode du licenciement pour faute grave utilisée par la société ASTEK
Comme la presse, s’en est fait l’écho, une entreprise employant 2.800 salariés en France se permet de supprimer 400 postes sans avoir à assumer un plan de licenciement économique. Pourquoi ne craint-elle pas d’être condamnée par le Conseil de Prud’hommes ? Faut-il s’attendre à ce que toutes les entreprises fassent pareil lors de la vague massive de licenciements attendue début septembre ? Doit-on s’y opposer et comment ?
La méthode est finalement très simple : les salariés dont le poste est supprimé sont incités à reconnaître qu’ils ont commis des fautes fictives comme le fait d’avoir abandonné une mission chez un client, ou même d’avoir frappé un Manager. Ils sont alors licenciés sans aucune indemnité sur le moment mais ils récupèrent, selon un protocole d’accord, une indemnité transactionnelle équivalente à leur indemnité de préavis (trois mois pour les cadres). L’avantage pour eux est que cette indemnité ne sera pas soumise à l’impôt, contrairement au salaire du préavis, et qu’ils pourront percevoir les indemnités Pôle Emploi trois mois plus tôt puisque leur contrat de travail aura expiré immédiatement (on oublie sans doute de les prévenir que l’indemnité transactionnelle déclenchera une carence Pôle Emploi qui peut aller jusqu’à 5 mois). L’avantage pour l’employeur est qu’il obtient des salariés un accord transactionnel empêchant ces derniers de saisir par la suite le Conseil de Prud’hommes.
Pourquoi les entreprises ne procèdent pas à des licenciements économiques ?
Beaucoup d’entreprises procèdent à des licenciements pour cause personnelle, insuffisance professionnelle ou faute, infligés de mauvaise foi puisqu’intervenant en réalité pour des raisons économiques. En effet, si une entreprise rencontre des difficultés financières établies, elle doit respecter la procédure du licenciement économique fixée par le code du travail qui érige des protections pour les salariés et donc des contraintes pour l’employeur. L’entreprise doit ainsi respecter les « critères » du licenciement économique, c’est-à-dire protéger les salariés les plus fragiles (en raison de l’âge, du handicap, de l’ancienneté, des charges de famille, etc.) ; elle a l’obligation de tenter de reclasser les salariés à un autre poste ou leur consentir une priorité de réembauchage et enfin payer les indemnités supplémentaires du licenciement économique (soit négociées avec les représentants du personnel, soit l’indemnité de congé de reclassement pour les entreprises de plus de 1.000 personnes) qui s’ajoutent aux indemnités qui sont dues en tout état de cause (indemnité de préavis, indemnité légale ou conventionnelle, congés payés, intéressement-participation). Autant de règles qui passent l’envie aux entreprises de prétexter une situation de crise pour améliorer les bénéfices !
Pourquoi une telle impunité ?
Depuis la réforme de la procédure prud’homale et l’instauration du barème Macron, nombre d’employeurs estiment qu’ils peuvent agir en toute impunité, les sanctions prud’homales étant généralement particulièrement légères, et si elles sont tant soit peu conséquentes, de toute façon extrêmement tardives.
En effet, le barème Macron permet, depuis septembre 2017, de licencier abusivement à moindre frais, les salariés qui n’ont qu’une faible ou moyenne ancienneté. Les juges prud’homaux ne peuvent plus sanctionner l’employeur en fonction du préjudice subi par le salarié mais doivent cantonner les dommages et intérêts alloués selon l’ancienneté du salarié (environ 1 mois de salaire par année de présence jusqu’à 10 ans, puis environ ½ mois de salaire par an jusqu’à 30 ans d’ancienneté, avec donc un maximum d’indemnité de 20 mois).
Pour les salariés qui ont conservé leur ancienneté et qui coûtent plus cher à licencier, puisqu’il faut leur verser à la fois une indemnité légale ou conventionnelle plus importante et, qu’en cas de licenciement abusif ils pourront prétendre jusqu’à 20 mois de dommages et intérêts, ce qui justifierait qu’ils saisissent le Conseil de Prud’hommes, ce seront alors les délais de procédure qui les en dégoûteront. Depuis la suppression du principe d’unicité d’instance et d’action, le salarié est désormais dans l’obligation, dès qu’il présente une demande nouvelle, de saisir à nouveau le Conseil des Prud’hommes, avec, pour une même affaire, une multiplication des procédures qui provoque un très fort engorgement des audiences, et un très fort allongement des délais.
Dans le même temps on a réduit, pour des raisons d’économie, le nombre des greffiers. Il faut maintenant attendre 4 ans pour obtenir un jugement devant l’un des plus importants Conseils de Prud’hommes de la région parisienne ! Voilà pourquoi, beaucoup d’entreprises sont désormais persuadées qu’elles peuvent licencier en toute impunité leurs salariés sans respecter les procédures adéquates et sans leur verser d’indemnités.
Faut-il admettre la suppression des indemnités pour les licenciements post-Coronavirus ?
Certes, de nombreuses entreprises sortent exsangues de la crise, et il n’est pas question d’obérer encore davantage leur trésorerie avec des indemnités de licenciement ruineuses. Faut-il pour autant leur permettre de s’affranchir des règles du droit du travail et de se séparer, sans bourse délier, de leur « sureffectifs » appréciés à ce moment-là de façon très large, et en appliquant les critères du licenciement économique à l’envers. Ce sont les collaborateurs âgés, anciens et fragiles qui seront les premiers visés. La réponse est non, tout d’abord sur le plan des principes et des valeurs, mais également, de façon plus pragmatique, d’un point de vue économique. Certes, il faut se préoccuper de la trésorerie des entreprises mais également de leurs débouchés. Or, les ménages ne consommeront que s’ils ont confiance. S’ils vivent dans la hantise de perdre leur emploi, alors que les licenciements, qui ne sont plus soumis à aucun frein, explosent, leur argent ira sous le matelas. Et le serpent se mordra la queue !
La solution est évidente ! Il faut rendre aux juges prud’homaux leur rôle d’arbitre, faisant le tri entre les licenciements légitimes et les licenciements abusifs, et sanctionnant ces derniers par des condamnations dissuasives. Il faut également que les tribunaux retrouvent des moyens matériels et humains (effectifs de greffes), nécessaires à son fonctionnement pour rétablir une justice efficace et rapide, gage de démocratie en cette période troublée. Les entreprises tentées d’alléger leurs effectifs au-delà de leurs besoins y réfléchiront à deux fois et beaucoup d’emplois seront sauvés.