Inégalité du salaire d’embauche en cas de pénurie de candidats : est-ce licite ?
Publié leLa période actuelle de pénurie d’embauches place les candidats en position de force pour négocier leur salaire. L’employeur peut-il légitimement violer le principe « à travail égal salaire égal » ? Oui, selon un arrêt de la Cour d’appel de Versailles que commente Cadre Averti.
Toutefois, le principe de l’égalité demeure, comme le rappelle la Cour de Cassation le 13 septembre 2023. Par ailleurs, le salarié pourra-t-il indéfiniment conserver cet avantage salarial obtenu uniquement en raison d’une conjoncture d’embauche défavorable pour l’employeur ?
L’interprète en langue afghane plus cher payée que celle en langue tchétchène.
Une entreprise qui met à disposition des interprètes en langue étrangère, notamment auprès des tribunaux, recrute une interprète en langue afghane. Apprenant que cette dernière avait négocié une rémunération supérieure à la sienne, une interprète en langues tchétchène et russe, déjà dans l’entreprise, réclamait une augmentation de salaire pour s’aligner sur celle de la nouvelle embauchée qui avait notamment obtenu une prime « langue rare ». Elle n’obtenait pas gain de cause, ni devant le Conseil de prud’hommes de Boulogne, ni devant la Cour d’appel de Versailles.
La pénurie de candidats et l’urgence à embaucher justifient une inégalité de traitement.
Selon la Cour d’appel de Versailles (06.07.2023, n° 21/02855) l’employeur avait justifié :
- Qu’il était très difficile de trouver des interprètes en langue afghane, langue très peu répandue en France,
- Alors qu’il y avait une grande urgence à réaliser des recrutements en raison du très fort accroissement de l’immigration afghane.
Dès lors, la société d’interprétariat produisait des « éléments objectifs pertinents et matériellement véritables justifiant la différence de traitement pratiquée et par suite le rejet de la demande de rappel de salaire ». On peut dire que la société a eu de la chance. Si l’interprète en langues tchétchène et russe avait obtenu gain de cause, c’est alors éventuellement l’ensemble des interprètes en poste qui « serait passé à la caisse ».
La forte pénurie d’embauche va-t-elle entraîner la suppression de l’égalité de traitement ?
A l’heure actuelle, les employeurs sont confrontés à de sérieuses difficultés de recrutement. Ils n’auront aucun mal à prouver que la nécessité de pourvoir un poste dans l’urgence justifie qu’ils fassent droit aux prétentions d’un candidat exigeant une rémunération supérieure à celle prévue pour le poste et, éventuellement, supérieure à celle des salariés occupant le même poste dans l’entreprise. Il est clair que l’employeur, sauf à ce que le climat social se dégrade fortement au sein de l’entreprise, devra avoir à cœur de « lisser » les rémunérations de ses salariés de façon à respecter les dispositions de l’article L.3221-2 du code du travail « tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ».
La Cour de Cassation vigilante sur les raisons invoquées pour justifier une différence de traitement à l’embauche.
Dans un arrêt récent (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n° 22-11.338) la Cour de Cassation se prononce sur la revendication d’un « grand reporter » qui constate que l’un de ses collègues « grand reporter » comme lui, perçoit un salaire supérieur. L’argument de l’employeur était que les deux salariés avaient été embauchés sous des qualifications différentes, l’un (le requérant) en tant que « assistant journaliste reporter stagiaire », et l’autre en tant que « journaliste reporter d’images ». Or, l’employeur ne justifiait pas en quoi cette différence de qualification lors de l’embauche devait entraîner une disparité de salaire alors que les deux « grands reporters » exerçaient des fonctions strictement identiques.
Le salarié pourra-t-il conserver sur la durée son sursalaire dû à la pénurie d’embauches ?
Certes, l’employeur ne peut pas réduire le salaire contractuel d’embauche. Mais si le salarié évolue à un autre poste il devra alors toucher le même salaire que les autres titulaires du même poste. Ainsi, tel qu’évoqué dans un article précédent de Cadre Averti « égalité de traitement : rémunération, conditions de travail, que dit la loi ? », deux salariés étaient embauchés au même poste, en même temps, en tant que techniciens support, mais l’un avec un salaire supérieur au motif qu’il était plus diplômé et plus expérimenté. Un an plus tard, ils sont tous deux promus au même poste de coordinateur technique et la différence de traitement était maintenue via une augmentation pour le « diplômé ». La Cour de Cassation sanctionne au motif que les deux salariés ayant le même poste et les mêmes responsabilités, rien ne justifiait de maintenir sur la durée la différence de traitement due au diplôme et à l’expérience passée.
On peut donc penser que le salarié qui a bénéficié d’une conjoncture de pénurie d’embauches favorable pour négocier un salaire contractuel supérieur à celui du poste ne pourra pas conserver cet avantage sur la durée.