Grève chez ADP : L’employeur peut-il désormais baisser la rémunération contractuelle, et à hauteur de combien ?
Publié leRyanair, Valeo, Derichebourg, Lisi, ADP… de nombreuses entreprises mènent dans la plus grande discrétion des accords de performance collective. Désormais l’employeur peut baisser les salaires, fixes et variables, sans même justifier de difficultés économiques. Cadre Averti fait le point.
Créé par les ordonnances Macron de 2017, l’accord de performance collective permet à l'employeur, sous réserve d'un accord majoritaire obtenu avec les délégués syndicaux ou même directement avec les salariés, de modifier les clauses du contrat de travail sur les points suivants :
- Durée du travail
- Rémunération
- Conditions de mobilité l
Si un salarié refuse l’application de l’accord à son contrat de travail, il peut être licencié et ne peut pas contester son licenciement devant le Conseil de Prud’hommes.
Dans quelles proportions un accord de performance collective peut-il réduire la rémunération contractuelle des salariés ?
La seule limite instaurée est de respecter le montant du SMIC ou des salaires minimas conventionnels fixés au niveau de la branche. On constate donc qu’au moyen de l’APC, l’employeur peut à la fois prévoir une baisse du salaire horaire et une augmentation parallèle du temps de travail. Il peut aussi réduire le taux de majoration des heures supplémentaires, mais dans la limite basse de 10% grâce aux dispositions de l’article L. 3121-33 du code du travail. Enfin, la modification peut être temporaire ou indéterminée. A l’heure actuelle, la majorité des accords signés porte sur des durées indéterminées « ce qui est choquant car si on peut comprendre qu'une entreprise l'utilise pour passer la vague des difficultés, cela l'est moins lorsque l'entreprise va mieux », assène Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT, qui souligne les « dérives » dans les Echos.
Comment l’employeur met-il en place l’accord de performance collective ?
Les conditions de conclusion de l’accord de performance collective sont identiques à celles de tout accord collectif d’entreprise. Si l’entreprise dispose d’au moins un délégué du personnel, il faut la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % au premier tour des élections professionnelles. Si cette condition n'est pas remplie, l’accord peut alors être validé par une approbation majoritaire des salariés appelés à voter (art. L. 2232-12 du Code du travail). En l’absence de délégué syndical, par exemple dans les entreprises de moins de 11 salariés, l’employeur peut faire voter les salariés. En pratique, l’employeur dispose d’un pouvoir important pour amener les partenaires sociaux à la table des négociations. Chez Ryanair les syndicats des pilotes sous contrat français ont dû par exemple accepter une baisse de salaire de 20%. La direction avait menacé de licencier immédiatement 27 personnes si le syndicat majoritaire de l’entreprise ne s’engageait pas rapidement à accepter des baisses de salaires.
L’employeur peut-il avec l’APC baisser la rémunération contractuelle des salariés en dehors de toute difficulté économique ?
C’est écrit noir sur blanc sur les questions-réponses du Ministère du Travail. L’accord de performance collective n’est pas nécessairement conclu pour faire face à des difficultés économiques : « L’objectif du législateur est d’offrir aux entreprises un cadre juridique sécurisé permettant, par le biais du dialogue social, de rechercher la performance sociale et économique ».
Il suffit pour une entreprise pourtant particulièrement bien portante d’invoquer l’amélioration de sa compétitivité pour justifier une baisse généralisée des salaires. Rappelons qu’il s’agit du salaire « contractuel », c’est-à-dire celui auquel on ne pouvait pas toucher puisque négocié par les deux parties au moment de l’embauche, avec bien sûr les augmentations successives
A partir du moment où il peut compter sur des co-signataires réceptifs, l’employeur qui décide de réduire la rémunération de ses salariés, a toute latitude pour le faire, n’étant entravé par aucun frein, ni tenu par aucune garantie. Il n’est même pas obligé de fournir des gages en matière de préservation des emplois.
Ce sont à l’évidence les cadres qui sont les plus exposés
L’accord de performance collective peut ne concerner qu’une seule catégorie de salariés, par exemple celle des cadres. Les cadres sont donc particulièrement fragilisés. Leur rémunération, souvent considérée comme trop élevée, surtout s’ils sont âgés et anciens, peut être réduite dans des proportions beaucoup plus importantes que celles des autres catégories puisqu’elle est généralement très supérieure au minima fixé par la convention collective applicable. Elle peut même être réduite au SMIC si aucune convention collective ne s’applique à l’entreprise. Par ailleurs, les cadres perçoivent souvent en sus de leur rémunération fixe, un variable ou bonus qui peut être totalement supprimé par l’accord de performance collective, et ce même s’il était garanti par le contrat de travail. Certes, l’employeur devra trouver une majorité chez les représentants des syndicats ou les salariés eux-mêmes, mais dès qu’il s’agit d’harmoniser le salaire des cadres par rapport à celui des autres catégories de salariés, le consensus risque d’être vite trouvé. Bien sûr il ne restera plus à l’employeur, s’il veut éviter les départs des collaborateurs qu’il entend conserver au sein de l’entreprise, que de les augmenter individuellement pour leur faire retrouver leur ancien niveau de rémunération !
Que se passe-t-il en cas de refus du salarié ?
Le salarié qui n’entend pas accepter la modification de son contrat de travail doit expressément refuser dans le délai d’un mois. S’il ne le fait pas, il sera considéré comme ayant accepté la modification. Selon le texte, le salarié a le droit de refuser la modification. Il ne doit pas être sanctionné pour cela, c’est-à-dire que l’employeur n’a pas le droit de le licencier pour faute grave sans indemnités. En revanche, l’employeur peut le licencier non pas, comme auparavant en cas de modification d’une condition essentielle du contrat de travail, pour cause économique, mais pour cause réelle et sérieuse, en lui versant uniquement ses indemnités légales et conventionnelles. La particularité de ce licenciement, est qu’il est inattaquable. Comme il résulte d’un accord collectif, le salarié ne peut pas le contester devant le Conseil des Prud’hommes. C’est seulement si le salarié prouve que l’accord de performance collective est vicié (par exemple parce que la majorité requise n’a pas été obtenue), qu’il pourra obtenir gain de cause.
Le droit du travail sacrifié sur l’autel de la compétitivité
Selon le Ministère du travail l’accord de performance collective a pour but d’offrir à l’employeur « un cadre juridique sécurisé ». Il peut désormais s’affranchir sur les matières les plus sensibles – durée du travail – rémunération – mobilité, du carcan du Code du travail. Pour certains, en cette période de reprise et d’ajustage après la pandémie, l’accord de performance collective tombe à pic. Pour d’autres qui voient fleurir des accords de performance collective extrêmement choquants dans des groupes extrêmement prospères, la mise sous le boisseau du droit du travail et de la justice sociale qui devraient plus que jamais jouer leur rôle de régulateur en période de crise, est inquiétante.