Enquête pour harcèlement au travail, comment se défendre de fausses accusations ?
Publié leComment un salarié qui estime que les accusations de harcèlement moral à son encontre sont artificielles peut-il se défendre alors que l’employeur dispose de tous les pouvoirs dans le cadre de l’enquête interne qu’il déploie, à commencer par celui de bafouer totalement le respect du contradictoire et les droits de la défense ? Cadre Averti, après avoir retracé l’évolution de la jurisprudence concernant le déroulement et les suites de l’enquête, rappelle quelles sont les véritables raisons de l’explosion actuelle des cas de harcèlement dans l’entreprise et indique quelle attitude doit adopter le salarié qui se sait innocent, dans le cadre du « rouleau compresseur » qu’est l’enquête pour harcèlement moral à charge contre lui.
Enquête obligatoire dès qu’il y a dénonciation de harcèlement moral
Dès qu’un employeur reçoit une dénonciation de harcèlement moral, il doit au titre de son devoir de prévention des risques professionnels (articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail) procéder à une enquête, et ce même s’il est convaincu que les accusations sont mensongères.
La plus grande liberté pour l’employeur quand il procède à l’enquête interne
L’employeur dispose de la plus grande liberté pour procéder à l’enquête. S’il y a quelques années la Cour de Cassation exigeait que l’enquête soit contradictoire avec, pour la partie se plaignant de harcèlement ou celle accusée de harcèlement, le droit de connaître le nom des personnes auditionnées et les propos tenus de façon à pouvoir y répliquer, depuis, elle a fait évoluer sa jurisprudence, laissant l’employeur procéder à l’enquête comme il le veut et prendre la décision qu’il veut.
Désormais :
- La DRH peut procéder elle-même à l’enquête sans être retenue de s’adresser à un cabinet extérieur censé donner des gages de professionnalisme et d’impartialité,
- Elle peut tenir les représentants du personnel à l’écart de l’enquête (Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22.098),
- Elle choisit les témoins qui doivent être entendus dans le cadre de l’enquête (Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22.098),
- Elle n’est même pas tenue d’informer le salarié de l’enquête initiée contre lui et donc de l’entendre dans le cadre de cette enquête (Cass. Soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597),
- Elle n’est pas tenue de remettre au salarié le rapport d’enquête, ni avant, ni après le licenciement. Tel que résultant d’un arrêt du 29 juin 2022 (Cass. Soc. n° 20-22.220), rien n’impose que « le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu’il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ou qu’il soit entendu dès lors que la décision que l’employeur peut être amenée à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder, peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement ».
C’est donc seulement quand il saisit le Conseil de prud’hommes que le salarié pourrait alors avoir connaissance, des mois, sinon des années après compte tenu des délais de procédure, des faits qui ont entraîné son licenciement. Toutefois, là encore, le salarié devra déchanter.
Même devant le Conseil de prud’hommes le salarié ne peut avoir connaissance des accusations de harcèlement qui ont entraîné son licenciement
De nouveau, lui sera opposée la nécessité de préserver l’anonymat des victimes et des témoins. Ainsi, la plupart du temps, la DRH qui a procédé à l’enquête interne n’établit pas de rapport à l’issue de cette dernière puisqu’il n’y a eu aucun débat contradictoire, à fortiori quand l’enquête est intervenue à l’insu du salarié concerné. Dans certains cas il n’y a qu’une « restitution verbale ».
De toute façon, si le rapport d’enquête existe, il est inexploitable puisqu’il ne fait état que de « verbatims », soit des accusations subjectives portées à l’encontre du salarié sans que ce dernier ne puisse reconstituer les éléments factuels, à savoir « Qui ? Quand ? Et où ? ». On pourrait alors s’attendre à ce que l’employeur soit tenu de produire devant le Conseil de prud’hommes des attestations de victimes et de témoins à charge, conformément aux dispositions du code de procédure civile, à savoir en premier lieu mentionner l’identité de la personne qui atteste.
Devant le Conseil de prud’hommes l’employeur peut produire des attestations anonymes
Or, la Cour de Cassation permet désormais à l’employeur de produire des attestations « anonymes ». Elle casse le 19 avril 2023 (n° 21-21.310) un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse qui avait considéré que « Il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes ». L’employeur peut donc verser aux débats des attestations anonymes, et ce à la seule condition de produire au moins un témoignage qui ne soit pas revêtu de l’anonymat. Ainsi, il serait nécessaire de protéger des années durant les victimes et les témoins entendus dans le cadre d’une enquête interne contre les mesures de rétorsion qui pourraient être exercées par le supposé harceleur, alors que la réalité est que dès qu’une enquête interne est déclenchée à l’encontre d’un manager, ce dernier n’a aucune chance d’en réchapper et de pouvoir se maintenir en poste. S’il parvenait à prouver son innocence, comment pourrait-il reprendre son rôle de manager sur des collaborateurs entendus dans le cadre de l’enquête et qui, assurés de son départ prochain du fait même des investigations menées contre lui, auraient porté de vives critiques à son endroit ?
Le salarié accusé de harcèlement moral, qu’il soit coupable ou innocent, est placé dans l’impossibilité de se défendre.
Les raisons de la multiplication des cas de harcèlement moral
Les dispositions légales concernant le harcèlement moral ont été instituées par la loi de modernisation sociale de janvier 2002. A cette époque, le gouvernement de Monsieur JOSPIN qui venait de durcir les conditions du licenciement économique craignait que les employeurs pour « passer entre les mailles du filet », ne poussent les salariés à partir d’eux-mêmes en exerçant sur eux des pressions caractérisant le harcèlement moral. Cette loi, en accordant une protection contre le licenciement aux salariés victimes de harcèlement, a suscité une prise de conscience salutaire et permis de lutter contre des agissements qui étaient jusqu’alors impunis.
A l’heure actuelle, avec l’essor de la notion de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), les employeurs sont soucieux de démontrer qu’ils pratiquent une tolérance zéro concernant les comportements « toxiques » de managers, susceptibles de porter atteinte à la santé de leurs collaborateurs et donc de caractériser le harcèlement moral. Toutefois, s’ajoute à cette augmentation naturelle des cas de harcèlement, le fait qu’un grand nombre de salariés dénoncent une situation de harcèlement moral démissionnaire. Ils se plaignent d’une dégradation de leur situation provoquée par la direction de l’entreprise dans le but de les obliger à partir d’eux-mêmes.
Le lien entre l’accroissement des cas de harcèlement et la discrimination pour âge au sein des entreprises
En France, les séniors sont particulièrement mal traités. Ils sont exclus du monde du travail de façon prématurée puisqu’un tiers des salariés est encore en poste entre 60 et 64 ans. Les deux tiers restant devront, entre la réduction de la prise en charge par pôle emploi (27 mois au lieu de 36 précédemment) et l’allongement de l’âge de la retraite, affronter le « halo autour du chômage », soit cette période où privés de tout revenu ils vivent de leur économies en attendant de pouvoir accéder à la retraite. C’est donc une population particulièrement craintive et angoissée qui subit de plein fouet les procédés de déstabilisation infligés, avec souvent une détérioration de la santé. Certains subissent, d’autres dénoncent le harcèlement.
Toutefois, tel qu’il résulte du très grand nombre de cas à l’heure actuelle portés devant le Conseil de prud’hommes, plus encore que les séniors qui se plaignent de harcèlement moral, ce sont ceux également âgés et anciens et qui coûtent cher à licencier qui seront susceptibles d’être accusés de harcèlement moral et qui feront l’objet d’une enquête interne.
Comment se déroule l’enquête interne pour un salarié accusé de harcèlement ?
Les étapes sont généralement les suivantes :
- Il apprend qu’une plainte ayant été déposée contre lui, l’employeur est dans l’obligation de procéder à une enquête dans le cadre de laquelle ses collaborateurs/ses collègues seront auditionnés. Généralement il lui est remis une lettre de dispense de poste de façon à ce qu’il ne puisse pas exercer de pressions sur les victimes et les témoins qui doivent participer à l’enquête. C’est généralement un départ définitif de l’entreprise car il n’y a quasiment pas d’exemple d’un manager ayant pu reprendre ses fonctions à l’issue d’une enquête intervenue alors qu’il était déjà physiquement exclu.
- Le seul document auquel le salarié a accès dans le cadre de l’enquête est, quand il est entendu, son compte-rendu d’audition. Alors qu’il s’attend, le jour de son audition, à connaître enfin quelles sont les accusations portées contre lui pour pouvoir s’en défendre, il lui sera opposé que les victimes et les témoins, pour être protégés des mesures de rétorsion qu’il pourrait exercer contre eux, bénéficient de l’anonymat le plus total, tant en ce qui concerne leur identité que les propos qu’ils ont tenus. Le salarié est alors invité à faire son propre examen de conscience, donnant alors « des verges pour se faire battre ».
- Habituellement, aucun rapport d’enquête écrit n’est remis au salarié qui ne bénéficiera tout au plus que d’une « restitution verbale », laquelle ne fera état que de « verbatims » pour qu’il ne puisse pas identifier qui s’est plaint et de quoi.
- Il sera souvent proposé, à ce moment-là, au salarié, une négociation de départ, certes portant sur des sommes minimalistes mais avec l’avantage de lui éviter le scandale d’un licenciement pour harcèlement moral privatif de toutes indemnités avec l’atteinte à son honorabilité et à sa réputation.
- Si aucune négociation n’est proposée ou si le salarié la refuse, il sera convoqué à un entretien préalable au licenciement. Lors de ce dernier, de la même façon, l’employeur se retranchera derrière l’anonymat nécessaire pour protéger les victimes et lui assènera à nouveau, comme motif de licenciement, des « verbatims », soit des extraits de phrases censées avoir été prononcées par les victimes et les témoins, calibrés pour être le plus accablants et le plus injurieux possible mais sans contexte identifiable.
- Au final, quand le salarié recevra sa lettre de licenciement il aura généralement une surprise. Au lieu d’être licencié pour harcèlement moral sur ses collaborateurs il sera seulement fait état, après la reprise des « verbatims » assénés lors de l’entretien préalable, de management inapproprié. Il n’est en effet pas question de permettre aux personnes qui ont déposé plainte contre le salarié licencié de réclamer à l’employeur une indemnisation en réparation du harcèlement moral qu’elles auraient subi !
Que se passe-t-il quand l’enquête pour harcèlement moral intervient à l’insu du salarié et donc sans qu’il y participe ?
Le salarié est alors directement convoqué à un entretien préalable au licenciement et les « verbatims » énoncés ce jour-là sont repris ultérieurement dans la lettre de licenciement.
Quel comportement adopter face à de fausses accusations de harcèlement moral ?
Le salarié qui s’estime innocent devra :
- Recueillir le maximum d’éléments permettant de démontrer la fausseté des accusations : échanges de courriels, évaluations annuelles.
- Avertir les représentants du personnel. Certes, de façon totalement inacceptable, le salarié ne peut pas se faire assister lors de l’enquête par un représentant du personnel. Ainsi, selon la Cour d’appel de Pau (10 février 2022, N19/01351) « L’employeur n’est pas tenu de permettre au salarié de se faire assister à l’occasion d’une enquête interne et les « droits de la défense » ne sont pas applicables, l’enquête n’étant ni un entretien préalable, ni un procès, lesquels interviennent, le cas échéant, après l’enquête ». Toutefois, il est important que les représentants du personnel soient prévenus et le salarié doit tenter de les sensibiliser à son cas, sans partir du principe qu’ils lui seront forcément hostiles puisqu’il est accusé de harcèlement moral et qu’il a un niveau de poste et une rémunération élevés. Si les représentants du personnel sont déjà alertés par des cas similaires, ils demanderont alors, éventuellement, à intervenir dans le cadre de l’enquête et si l’employeur le leur refuse, ce que certes la Cour de Cassation lui donne le droit de faire (de façon incompréhensible puisque les RP sont liés par la confidentialité) cela suscitera de leur part une réaction de vigilance.
- Alerter le médecin du travail.
De la même façon, le salarié pourra alerter le médecin du travail. Ainsi, une salariée tombée malade en raison des conditions particulièrement éprouvantes de l’enquête dont elle faisait l’objet, obtenait que le médecin du travail la déclare inapte et que son licenciement pour inaptitude soit requalifié par la juridiction prud’homale en licenciement nul du fait harcèlement moral dont elle avait été elle-même victime à l’occasion de l’enquête (Cass. Soc. 6 juillet 2022, n° 21-13.631).
- Exiger de connaître les faits de harcèlement reprochés
S’il est entendu dans le cadre de l’enquête, le salarié doit exiger de savoir quelles sont les accusations contre lui. S’il obtient des éléments précis, il doit alors faire connaître sa position. S’il est laissé dans l’ignorance au motif qu’il faut préserver l’anonymat des victimes et des témoins, il devra faire observer qu’il est placé dans l’impossibilité de se défendre, ce qui figurera dans son compte-rendu d’audition.
- Enfin, ne pas hésiter à saisir le Conseil de prud’hommes
Même si le droit du travail est mis à mal depuis quelques années avec des textes successifs qui détruisent les droits des salariés pour donner tout pouvoir à l’employeur, il faut faire confiance aux juges. Ce sont eux qui « rendent la justice » appréciant les éléments de fait de chaque dossier. Ainsi, si un salarié démontre qu’il n’a jamais fait l’objet avant le déclenchement brutal de l’enquête interne du moindre reproche ou mise en garde concernant son management sur ses collaborateurs, et que ses évaluations annuelles ont toutes été élogieuses, sans jamais mentionner la moindre critique sur le plan comportemental, on peut penser que les juges enverront « baller » les attestations anonymes produites par l’employeur.
Enfin, il faut souhaiter que, tôt ou tard, la France se conforme au droit européen, tant en ce qui concerne le barème Macron, sanctionné par l’Europe, que désormais l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui consacrant le droit « à un procès équitable » précise que toute personne a droit à :
« être informé dans le plus court délai dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ».