Échec de la réforme des retraites en Suède : les leçons à tirer en France
Publié leComment fonctionne la retraite en Suède ? Mal ! La réforme des retraites suédoise, prônée comme modèle depuis son instauration en 1998 est à présent totalement décriée, les suédois et surtout les suédoises étant dans la rue. Quelles leçons doit-on en tirer pour la réforme de la retraite française ?
En Suède, une retraite à 65 ans mais possibilité de partir dès 62 ans
Quel est l'âge de départ à la retraite en Suède ?
Les suédois ont été incités à prendre leur retraite le plus tard possible y compris même après 65 ans. L’homme qui a mis en place la retraite suédoise, Carl Gustaf SCHERMAN, bat sa coulpe : « il faut que les gens travaillent plus longtemps mais on ne leur explique pas. Nous n’aidons pas ce qui en ont besoin ». Voilà les conséquences d’une réforme mal préparée, et de ce fait, mal expliquée.
Comment est calculée la retraite en Suède ?
Les indemnités de retraite sont calculées, selon les cotisations accumulées tout au long de la vie active mais également sur le nombre d’années qui restent à vivre au moment de la prise de retraite, selon l’espérance de vie statistique. Si l’on ajoute à cela qu’un tiers de l’indemnité de retraite est assise sur un système de capitalisation géré par des fonds de pension avec des résultats aléatoires, les salariés suédois sont dans le flou le plus total pour calculer leurs indemnités de retraite en fonction de leur âge de départ.
Pourquoi le système de retraite en Suède est injuste ?
Les plus fragiles, ceux qui exerçaient des métiers pénibles (les critères de pénibilité n’existant pas en Suède) sont partis dès que possible, à 62 ans (63 ans cette année). Leurs indemnités de retraite étant très réduites, ils sont confrontés à une paupérisation qui frappe surtout les femmes et qui atteint 13% en 2021, contre 10% en France.
Pourquoi la France ne doit pas continuer à suivre l’exemple suédois ?
En France, à l’heure actuelle, une retraite à 62 ans, mais une retraite à « taux plein » qui s’échelonne entre 62 et 67 ans.
Si les français peuvent tous partir en retraite à 62 ans c’est pour beaucoup avec des indemnités de retraite minorées tant qu’ils ne justifient pas avoir cotisé le nombre de trimestres nécessaires (entre 166 et 172 selon l’âge). La retraite à taux plein est acquise à l’âge de 67 ans, quel que soit le nombre de trimestres cotisés.
On constate donc que le régime actuel français, est similaire au régime suédois.
Toutefois il y a une différence majeure. Les salariés suédois qui prennent leur retraite avant 65 ans le font par choix : ils quittent un emploi trop dur ou trop ingrat. Les salariés français le font par obligation : les deux tiers d’entre eux ont perdu leur emploi, ce en raison de la spécificité française qu’est la discrimination vis-à-vis des seniors (âgisme). Les cadres âgés dans les grandes entreprises sont plus particulièrement touchés. En France, les salariés quittent le marché du travail 3 à 4 ans plus tôt que les salariés des autres pays Européen. Le graphique ci-dessous est accablant. A-t-on réfléchi aux conséquences pour les salariés du maintien sans emploi pendant deux années supplémentaires, de 62 à 64 ans ?
Tirer les leçons de la précédente loi avant d’en promulguer une nouvelle
C’est la Cour des comptes elle-même qui alerte sur les conséquences de la réforme des retraites, dénonçant tout d’abord que la précédente loi n’a donné lieu « à aucune étude d’impact solide sur les effets potentiels des mesures de report d’âge en termes de basculement dans l’inactivité et les minimas sociaux ». La Cour des comptes s’inquiète du risque de précarisation des séniors exclus du marché du travail et se montre particulièrement critique à l’égard des politiques de ressources humaines dans les entreprises :
« Les seniors touchés par le chômage éprouvent de grandes difficultés à retrouver un emploi. Cela résulte […] surtout des réticences des entreprises à recruter des salariés âgés […] les entreprises n’ont pas pleinement répercuté le recul de l’âge de la retraite sur la gestion de leurs effectifs, le chômage et l’inactivité jouant pour de nouveaux travailleurs le rôle de transition entre l’emploi et la retraite. » (source - Cour des comptes Référé : les fins de carrière)
Les entreprises vont-elles conserver les salariés pendant deux ans de plus ?
Alors que du fait de l’âgisme, les deux tiers des salariés de plus de 60 ans ont perdu leur emploi, on ne voit pas pourquoi les entreprises maintiendraient en poste pendant deux années supplémentaires le tiers restant. Si aucune mesure n’est prise, c’est malheureusement le contraire qui risque de se produire. Les entreprises pour ne pas être accusées de discrimination vis-à-vis des salariés âgés seront davantage encore tentées de s’en séparer avant qu’ils n’aient atteint l’âge « fatidique » de la soixantaine.
Quelles seront les conséquences du recul de l’âge de la retraite pour les salariés âgés privés d’emploi ?
Les conséquences du recul de l’âge de la retraite pour les seniors privés d’emploi vont essentiellement dépendre de l’âge auquel les salariés auront perdu leur dernier emploi. Si c’est à 62 ans, ils toucheront alors les indemnités chômage jusqu’à sa prise de retraite. Mais si c’est à 57, 58 ans, les choses seront en revanche très difficiles.
En effet, après avoir épuisé ses indemnités Pôle Emploi (à l’heure actuelle 36 mois pour les salariés de plus de 55 ans) le salarié intègrera le « halo autour du chômage ». Il ne percevra plus, s’il n’a aucun revenu, que l’allocation de solidarité spécifique de 17,90€ par jour. Il devra vivre de ses économies en attendant de percevoir ses indemnités retraite lorsqu’il atteindra l’âge de 64 ans.
Aujourd’hui, 2 millions de personnes sont déjà dans le « halo autour du chômage », dont de nombreux cadres âgés frappés par les politiques « d’âgisme » des grandes entreprises. Ce chiffre, non comptabilisé dans les statistiques de Pôle Emploi est à rapprocher des 3 millions de chômeurs en catégorie A, soit ceux sans aucun emploi.
On constate donc que si aucune mesure n’est prise pour contraindre les entreprises à conserver les seniors en poste, ce sont ces derniers qui vont « financer » sur leurs économies, les deux années d’indemnités de retraite épargnées par l’état. Comme l’affirme Gilles GATEAU, le Directeur de l’APEC, il faut « réformer les préjugés avant de réformer les retraites ».