Dès lors qu’on doit désormais rester joignable au téléphone, peut-on encore parler de temps de pause ou de temps libre ?
Publié leSi les pauses déjeuner semblent presque appartenir au passé pour les salariés de l’ère post-covid, prendre le temps de faire une pause est plus important que jamais pour rester productif et en bonne santé. Pourtant, selon une récente jurisprudence de la Cour de Cassation, même si le salarié doit conserver son téléphone durant ses temps de pause pour répondre à des situations d'urgence, cela ne peut pas être considéré comme du temps de travail effectif puisqu’il peut vaquer à ses occupations personnelles. L’occasion pour Cadre Averti de décrypter la notion de plus en plus relative de temps de pause en entreprise ou en télétravail et par extension, pour les cadres au forfait, de temps libre.
Temps de pause du salarié dans l'entreprise : quelles sont les règles ?
Dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié doit bénéficier d'un temps de pause d'au moins 20 minutes consécutives (Article L3121-16 du code du travail) . Le temps de pause est un arrêt de travail de courte durée sur le lieu de travail. La pause doit être accordée soit immédiatement après 6 heures de travail, soit avant que cette durée de 6 heures ne soit entièrement effectuée.
Est-ce que les pauses sont rémunérées ?
La pause n'est en principe pas rémunérée, puisqu'elle n'est pas comptée comme un temps de travail effectif. En effet, pendant le temps de pause, le salarié n'est pas sous la direction de son employeur. La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (Article L3121-1 du code du travail). Toutefois, le temps de pause doit être rémunéré dès lors qu'il remplit les conditions du temps de travail effectif, mais alors dans ce cas-là ce n’est plus une pause…
Peut-on être en pause mais confiné au travail ?
C’est tout le paradoxe des temps de pause. L’employeur peut interdire à ses collaborateurs de sortir de l’enceinte de l’établissement, sans pour autant remettre en cause la liberté du salarié de faire ce que bon lui semble (Cass Soc 5 avril 2006 n°de pourvoi 05-43.061 ; Cass soc 19 mai 2009 n°8-40.208 ). De la même façon, le fait que le salarié soit astreint au port d'une tenue de travail durant la pause ne permet pas de considérer que ce temps constitue un temps de travail effectif (Cass soc 30 mai 2007 n°05-44.396).
En pause, est-on vraiment libre ?
A priori, le salarié en pause devrait être libre de lire un livre ou de pouvoir écouter de la musique, sans se soucier de répondre au téléphone ou de toute autre tâche liée à son activité professionnelle. En réalité, le salarié n'est pas si libre que cela puisque les activités personnelles à sa disposition sont nécessairement limitées par le temps, et le lieu où il peut effectivement faire sa pause. Plus encore, la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. Soc. 2 juin 2021 n°19-15.468) renforce la contrainte que peut exercer l’entreprise sur ce temps. « La seule circonstance que le salarié doive conserver avec lui au cours de sa pause son téléphone portable pour pouvoir, au besoin, répondre à une question urgente, ne suffit pas à caractériser une obligation de rester à disposition de l'employeur, ni à exclure que le salarié puisse vaquer à ses occupations personnelles ». La Cour de Cassation, remet en cause le raisonnement de la Cour d’appel qui « estimait que les salariées devaient rester constamment à la disposition de leur employeur et se conformer à ses directives, qu'elles ne pouvaient donc vaquer librement à leurs occupations personnelles y compris pendant leurs pauses, de sorte que celles-ci, même lorsqu'elles étaient badgées, constituaient un temps de travail effectif ».
Quelles conséquences pour les cadres au forfait ?
Du fait de leur degré d’autonomie, les cadres au forfait ne sont pas astreints à des horaires et déterminent eux-mêmes leur temps de travail.
La jurisprudence qui s’applique aux temps de pause, soit l’obligation de rester disponible au téléphone, a forcément généralisé la nécessité de rester joignable à tout moment. Certes, selon la Cour de Cassation, le salarié ne doit être joint qu’en situation d’urgence, mais avec le risque que tout ce qui concerne l’entreprise soit considéré comme urgent, avec des échanges téléphoniques susceptibles de s’éterniser et donnant lieu dans la foulée à des envois de courriels.
Comment les cadres au forfait pourront-ils organiser leur temps libre sans être susceptible d’être interrompus à tout moment, y compris lors des activités sportives ou pendant la sieste ?
Au final, peut-on encore parler de droit à la déconnexion quand on doit rester en permanence connecté au téléphone, alors que l’on n’est pas au travail ?
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