La dénonciation de harcèlement moral assouplie pour le salarié
Publié leDepuis 2017 le salarié qui dénonçait une situation de harcèlement, et était licencié pour cette raison, ne pouvait obtenir l’annulation de son licenciement, avec les sanctions financières particulièrement lourdes pour l’employeur, que s’il avait « qualifié » le harcèlement, c’est-à-dire écrit le mot « harcèlement » dans sa dénonciation. La Cour de Cassation abandonne cette exigence par un arrêt du 19 avril 2023 (n° 21-21.053).
Quelle est la protection pour le salarié victime de harcèlement moral au travail ?
Depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, quand un salarié victime de procédés de harcèlement les dénonce officiellement par un courrier adressé à son employeur, si ce dernier, par mesure de rétorsion, le licencie, les sanctions seront très lourdes. Le salarié pourra obtenir devant la juridiction prud’homale, non pas seulement des dommages et intérêts pour licenciement abusif (qui sont plafonnés par le barème Macron en fonction de l’ancienneté, à savoir environ 1 mois par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans et environ ½ mois par an au-dessus de 10 ans), mais l’annulation de son licenciement. S’il l’obtient, il pourra choisir entre les deux solutions suivantes :
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Annulation du licenciement et demande de réintégration
Si le salarié demande sa réintégration, l’employeur sera tenu de lui verser le salaire qui aura couru entre le jour de l’expiration de son contrat de travail et le jour de la réintégration. Compte tenu des délais de procédure il s’agit généralement de plusieurs années de salaire. Toutefois, si l’annulation du licenciement est prononcée dans un cas de harcèlement moral, il conviendra de déduire du montant des salaires dus les revenus substitutifs perçus entretemps (indemnités pôle emploi – nouveaux salaires).
Généralement l’employeur ne veut pas réintégrer un salarié sur décision judiciaire plusieurs années après et un accord intervient : rupture conventionnelle du contrat de travail ou licenciement suivi d’une transaction avec les indemnités de rupture correspondantes.
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Annulation du licenciement sans demande de réintégration
Si le salarié ne demande pas sa réintégration il percevra alors des dommages et intérêts pour licenciement nul avec un minimum de 6 mois de salaire, et sans plafond maximum, le barème Macron ne s’appliquant pas en cas de harcèlement reconnu par la justice.
A quel moment doit-on dénoncer le harcèlement moral au travail ?
Il faut dénoncer la situation de harcèlement avant de faire l’objet d’une procédure de licenciement. Beaucoup de salariés se plaignent devant le Conseil de Prud’hommes d’avoir subi une situation de harcèlement moral mais ils le font trop tard. Il ne peuvent plus, en principe, réclamer la nullité de leur licenciement. Toutefois, ils hésitent à faire expressément état du mot « harcèlement » dans leur dénonciation par crainte de déclencher un conflit immédiat et irréversible avec l’employeur, perdant alors tout espoir d’obtenir un rétablissement de leur situation et avec le risque qu’au final le harcèlement ne soit pas reconnu.
Jusqu’à présent le mot « harcèlement » devait impérativement figurer dans la lettre de dénonciation
En effet, la Cour de Cassation, selon une jurisprudence établie depuis 2017 (Cass. Soc. 13 septembre 2017, n° 15-23.045) exigeait que le salarié qualifie lui-même expressément le harcèlement dans sa lettre de dénonciation, soit qu’il écrive le mot « harcèlement ».
Ainsi, plus récemment, une salariée qui avait défini de façon très explicite le harcèlement dans sa lettre de dénonciation, indiquant que « son état de santé actuel est la conséquence directe de la dégradation de ses conditions de travail et que l’employeur est à son égard en manquements graves et répétés à son obligation de sécurité », s’était vue refuser la protection, soit l’annulation de son licenciement, au motif que « La salariée n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par elle de harcèlement moral (Cass. Soc. 29 septembre 2021, n° 20-14/179) (voir l'article harcèlement : attention à la formation de la lettre de dénonciation si vous voulez bénéficier des protections). Il fallait donc dans la lettre de dénonciation qualifier le harcèlement, même avec un exposé sommaire des faits, plutôt que de vouloir démontrer ce dernier en relatant de façon circonstanciée et objective les manquements de l’employeur, mais sans écrire le mot « harcèlement ».
A présent, le salarié peut être protégé même s’il n’a pas écrit le mot « harcèlement » dans sa lettre de dénonciation.
La Cour de Cassation a en effet opéré un total revirement de jurisprudence par son arrêt du 19 avril 2023. En l’espèce, il s’agissait d’une psychologue salariée d’un établissement pour adolescents en difficulté qui avait, dans un premier temps, dénoncé l’attitude du Directeur vis-à-vis des élèves et s’était plainte, par la suite, d’avoir fait elle-même l’objet de harcèlement, en relatant de façon circonstanciée les faits dont elle avait été victime de la part de ce dernier, et en faisant expressément référence à la dégradation de ses conditions de travail et à l’impact sur sa santé.
Or, la Cour de Cassation, cette fois-ci, confirme l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait annulé le licenciement au motif que la salariée avait fait état d’une situation de harcèlement moral, et ce même si elle n’avait pas qualifié lesdits faits de « harcèlement moral » lors de leur dénonciation. Selon la Cour de Cassation « Dès lors que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la Cour d’Appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral ».
Dans ces conditions, il appartient au salarié qui dénonce une situation de harcèlement moral, s’il ne veut pas qualifier expressément le harcèlement pour préserver un rétablissement de sa situation, de relater les faits de façon précise et circonstanciée et d’indiquer que les agissements de l’employeur ont entraîné la dégradation de ses conditions de travail et, éventuellement, de sa santé, de façon à ce qu’il soit clair pour le Juge prud’homal qu’il a bien voulu dénoncer une situation de harcèlement moral.
Mais s’il est de bonne foi, le salarié a intérêt à qualifier le harcèlement dans sa lettre de dénonciation
En effet, la prudence commande que le salarié victime d’une situation de harcèlement et qui la dénonce, écrive en toutes lettres le mot « harcèlement » dans sa lettre de dénonciation.
Du moment qu’il est de bonne foi, il ne peut pas être sanctionné pour avoir dénoncé le harcèlement, même si au final il apparaît que les faits qu'il avait invoqués ne relevaient pas du harcèlement moral. Ce n’est que si l’employeur prouve que la dénonciation a été faite de mauvaise foi qu’il pourra valablement procéder, pour ce motif, au licenciement du salarié.