A défaut d’un droit protecteur, rares sont les lanceurs d’alerte !
Publié leNos états de droits sont menacés par les fraudes, la corruption, les scandales sanitaires… dans ce paysage, selon une enquête Eurobaromètre 2017 sur la corruption, 81% des européens ont indiqué ne pas avoir signalisé l’acte de corruption qu’ils ont vécu ou observé par craintes de conséquences juridiques et financières. Parmi les 19% qui tentent de les dénoncer, se trouvent les lanceurs d’alerte. Alors que dans la plupart des pays de l'Union, la protection accordée est partielle et ne s'applique qu'à des secteurs ou catégories de travailleurs spécifiques, le Parlement européen a abouti à un compromis sur la protection des lanceurs d’alerte. Même si ce dispositif est encore loin d’être idéal, il vient opportunément renforcer la législation Française.
Pourquoi faut-il défendre les lanceurs d’alerte du suicide professionnel ?
Selon le Conseil d’Etat, « Le lanceur d’alerte est une personne qui, confrontée à des faits constitutifs de manquements graves à la loi ou porteurs de risques graves, décide librement et en conscience de lancer une alerte dans l’intérêt général ». Les révélations des «Panama Papers», les «Luxembourg leaks» ou encore le démarchage illégal de grandes fortunes par UBS proviennent d’informations fournies par des lanceurs d’alerte. Pour l’avocate Françoise de Saint-Sernin, « sans-eux, ces affaires n’auraient tout simplement jamais été révélés au public et les entreprises continuerait à agir en toute impunité. Malheureusement, les lanceurs d’alerte ne sont pas suffisamment protégés contre les mesures de représailles qu’ils subissent de la part leur entreprise ». Une étude réalisée en 2017 pour la commission estime la perte de bénéfices potentiels à l’échelle de l’UE due à l’absence de protection des lanceurs d’alerte à plus de 5.8 milliards d’euros par an pour le seul domaine des marchés publics.
Un cadre juridique loin d’être adapté
Si la France dispose de divers mécanismes de signalement comme celui développé depuis 1982 dans les entreprises et les administrations en matière de santé et de sécurité au travail, la diffusion de dispositifs d’alerte professionnelle est en revanche beaucoup plus récente. Il a en effet fallu attendre décembre 2016 pour qu’un statut juridique soit établi pour les lanceurs d'alerte par la loi dite Sapin II. Ce dispositif est lourd et particulièrement inadapté. Pour bénéficier du régime de protection prévu par la loi, le lanceur d’alerte doit suivre une procédure d’alerte graduée. Dans un premier temps le lanceur d’alerte doit ainsi saisir la chaîne hiérarchique de son entreprise, puis les autorités et, en dernier ressort, le public. Entre chaque étape il doit en outre respecter un délai raisonnable, ce qui rallonge d’autant la résolution des atteintes dénoncées. Il ne peut en être autrement qu’en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles. Il convient également de souligner que la personne qui entendra se prévaloir de la qualité de lanceur d’alerte devra satisfaire à deux exigences : être de bonne foi, révéler ou signaler des actes de manière désintéressée.
Avec le secret des affaires il n’y a que des coups à prendre !
La société ne peut pas laisser punir ceux qui veulent la protéger… « Devenir lanceur d’alerte c’est 10 ans de combat » souligne Nicolas Forissier, qui a obtenu la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte dans le dossier UBS. Pourtant il y a quelques semaines encore Maître Dupont Morreti le traitait de « délateur » (Voir: Nicolas Forissier, l'auditeur qui a dénoncé la Banque UBS). L’obligation d’alerter préalablement l’employeur fait courir tous les risques au salarié alors que depuis le 1er août 2018, le secret des affaires est protégé en droit français par les articles L 151-1 et suivants du code de commerce qui protège de manière large « toute information » sans plus de précisions. Dans tous les cas, comme le dénonce Maître Françoise de Saint Sernin : « la protection intervient après de longues années de procédures, les lanceurs d’alerte sont souvent licenciés, entravés dans leur souhait de trouver un nouvel emploi et finalement démunis face aux frais de justice qu’ils doivent avancer pour se défendre contre des procédures injustes. C’est seulement au bout du bout des procédures que le lanceur d’alerte, finalement reconnu comme tel, verra son seul préjudice professionnel indemnisé alors même qu’il a couru tous les risques ! ».
Qu’est-ce que la nouvelle directive va apporter par rapport à la loi Sapin ?
Pour le Sénateur Eric Bocquet, membre de la commission des finances, il faut ainsi donner au projet de directive du 12 mars 2019 toute l’importance qu’il mérite. Passé inaperçu, ce texte vient pourtant renforcer les dispositifs d’alerte professionnelle à l'échelle de l'Union. Certes les lanceurs d'alerte seront toujours encouragés à signaler l'infraction d'abord au niveau interne, mais seulement si celle-ci peut être effectivement traitée au sein de leur organisation et s'ils ne risquent pas de subir des représailles. Dans le cas contraire, et c’est une nouveauté par rapport au cadre français, ils pourront signaler l'infraction directement aux autorités compétentes. En outre, si aucune mesure appropriée n'est prise après le signalement aux autorités et en cas de danger imminent ou manifeste pour l'intérêt public, ou si le signalement aux autorités n'aurait aucun effet (par exemple, parce que ces autorités sont de connivence avec l'auteur de l'infraction), les lanceurs d'alerte pourront immédiatement révéler publiquement l'infraction, y compris dans les médias. Les lanceurs d'alerte seront ainsi protégés lorsqu'ils agissent en tant que sources de journalistes d'investigation. Finalement, la directive allège un peu le dispositif qui repose encore essentiellement sur l’héroïsme des lanceurs d’alerte.
Prévention des représailles et protection effective
Les futures règles européennes doivent finalement protéger les lanceurs d'alerte contre les licenciements, les rétrogradations et d'autres formes de représailles. Elles exigeront enfin des autorités nationales qu'elles informent les citoyens sur les procédures de lancement d'alerte et les mécanismes de protection disponibles. Mais on pourrait aller encore plus loin pour rendre cette protection réellement efficace. Alors que seuls 51% des citoyens européens savent où rapporter des faits de corruption, l’avocate Julia Fabiani suggère la création d’une autorité unique, à l’échelle européenne, qui permettrait de garantir la confidentialité des alertes et la neutralité des traitements.
Une protection solide des lanceurs d’alerte garantirait le respect des principes de transparence, de bonne gouvernance et de la liberté d’expression, autant de valeurs et de droits qui constituent les fondements de la démocratie.
Yann-Maël Larher, docteur en droit social