CADRE AVERTI
Covid19 : le crash test de la justice prud’homale
Publié leLe conseil de prud'hommes est le tribunal compétent pour les litiges liés au travail et notamment les licenciements qui pourraient se multiplier au cours des prochains mois face aux conséquences de la crise sanitaire. Passée inaperçue, une ordonnance introduit une révolution temporaire de la procédure en vue de fluidifier une machine judiciaire déjà grippée depuis des années en raison de l’absence de moyens. Pourquoi cette soudaine évolution ?
Que dit l’ordonnance du 20 mai 2020 ?
Les juridictions prud'homales sont fortement ancrées dans le paysage judiciaire français et constituent l'une des plus anciennes institutions de notre pays. Pourtant comme dans les hôpitaux, il semble que l’on soit resté au milieu du gué de la modernisation de la juridiction prud’homale en raison du manque de moyens dévolus à la justice. Une audience de conciliation est aujourd'hui toujours obligatoire, alors que le taux de conciliation est de seulement 8%, ce qui allonge inutilement les délais. En moyenne, il faudra ainsi attendre plus de seize mois (et plus de 4 ans devant certains juridictions de la région parisienne) pour obtenir une décision. Afin de fluidifier les contentieux, l’article 11-3 de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 prévoit ainsi que : « Lorsque, trois mois après la saisine du conseil de prud’hommes, l’audience du bureau de conciliation et d’orientation n’a pas eu lieu ou le procès-verbal prévu à l’article R. 1454-10 du code du travail n’a pas été établi et la décision sur le fondement de l’article R. 1454-14 du même code n’a pas été prise, l’affaire est, en l’absence d’opposition du demandeur, renvoyée devant le bureau de jugement approprié au règlement de l’affaire à une date que le greffe indique aux parties par tout moyen. ». Cet article est aujourd'hui absolument nécessaire pour soulager une juridiction écartelée entre ses devoirs et ses moyens. Cette mesure dont le caractère est temporaire est toutefois en complète contradiction avec les précédentes mesures prises depuis 2016 qui entravent la capacité des salariés à faire appel à la justice.
Une justice accessible à tous les salariés ?
On pointe souvent la complexité du droit du travail mais c’est la complexification de la procédure qui empêche les salariés les plus fragiles de saisir la justice. S’il existe au moins un conseil de prud'hommes dans chaque département, la question de l'accessibilité ne se résume pas à la proximité géographique. En effet, la réforme de la procédure prud'homale (loi Macron du 6 août 2015 applicable depuis août 2016) rend beaucoup plus difficile, en particulier pour les plus fragiles, la saisine du conseil de prud'hommes. Au lieu de présenter sa demande lui même, le salarié est désormais dans l’obligation de recourir à un spécialiste, conseiller du salarié ou avocat, pour déposer une requête argumentée en droit. En effet, s’il se trompe il doit recommencer à zéro en faisant repartir les délais.
Par ailleurs, le barème Macron de septembre 2017, imposant aux juges de limiter les dommages et intérêts en cas de licenciement abusif en fonction de l’ancienneté entraine également une forte baisse des saisines prud’homales. Ainsi, un salarié qui n’a que trois ans d’ancienneté et qui ne peut pas obtenir une indemnisation supérieure à 4 mois de salaire, ne se lancera pas un procès long, complexe et coûteux pour un enjeu aussi faible. Ce qui est incompréhensible c’est qu’avec tous les freins mis en place pour dégouter les salariés de s’adresser à la justice, entrainant une chute considérable des nouvelles affaires, les délais de procédure, eux, ne cessent de s’allonger. Il est urgent redonner des moyens à la justice prud’homale !
Pourquoi ce revirement politique ?
Les juridictions sont d’ores et déjà fortement surchargées et auront beaucoup de difficultés à absorber les nouvelles affaires susceptibles de découler de la crise économique annoncée. Jusqu’à présent la doctrine du gouvernement était de permettre à l’employeur de licencier facilement au motif de favoriser le reflex de l'embauche. Désormais, il semblerait qu’il souhaite rétablir la "crainte du gendarme" pour endiguer la vague de licenciements massifs qui s’annoncent. Les employeurs opportunistes doivent comprendre qu’ils ne pourrons profiter de la période actuelle pour se débarrasser à bons comptes de certains salariés et notamment les plus âgés, en toute impunité.
Reste désormais à espérer que la possibilité de supprimer l’audience de conciliation soit reconduite à l’issue de l’état d’urgence sanitaire afin de pouvoir dédoubler les bureaux de jugements et de permette un meilleur un meilleur fonctionnement de la justice.
À propos de Cadre Averti
Conçu par Françoise
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