« Le droit du travail en Europe face au Coronavirus » - Que se passe-t-il en Allemagne ?
Publié leLe Covid-19 bouscule profondément la vie des entreprises et des salariés. Afin de mieux comprendre l’impact de la pandémie, Cadre Averti a interrogé des avocats en droit du travail afin qu’ils puissent témoigner de la situation dans leur pays. Cette semaine nous faisons le point sur la situation en Allemagne avec Maitre Alexander Mittmann.
Allemagne – Mittmann Alexander
Comment le covid19 a impacté votre relation avec vos clients ?
En Allemagne, la réglementation sur la crise sanitaire et ses conséquences ne sont pas uniformes. L’Allemagne étant un État fédéral, chaque État fédéré adopte des règles propres bien que concertées parmi les États fédérés.
À Hambourg, il n’est pas formellement interdit mais déconseillé aux avocats de recevoir des clients. En conséquence, je ne reçois pas de clients en ce moment, mais je continue à faire des consultations par téléphone, ce qui fonctionne tout aussi bien. Ainsi, ma relation avec mes clients se trouve à peine perturbée.
Quelles sont les affaires que vous traitez le plus en ce moment ?
Mon Cabinet se veut l’assistant universel des entreprises d’origine française avec une activité en Allemagne et intervient dans les matières principales qui intéressent ces sociétés - droit des sociétés, droit commercial, droit social - avec une compétence particulière en droit de la concurrence et de la propriété industrielle.
Actuellement, la quasi-totalité des nouvelles demandes a trait au coronavirus. Les entreprises sont contraintes de réorganiser leurs liens tant avec leurs clients et prestataires de service qu’avec leurs salariés.
En matière de droit du travail, il se trouve qu’il n’existe pratiquement aucune relation de travail qui n’est pas concernée par la crise. Soit la sécurité du travail est remise en cause, soit le travail doit être fait dans des conditions différentes, ce qui est le cas du travail au domicile notamment, soit encore le travail ne peut plus être effectué. Dans ce dernier cas et sous certaines conditions, les salariés ont droit en Allemagne à une indemnité de l’Etat, si l’entreprise réduit le temps du travail. Dans les deux autres cas, la relation du travail doit être aménagée. Les règles de droit commun continuent à s’appliquer, mais le ministre fédéral du travail vient de communiquer un standard de la sécurité COVID-19 qui doit dès maintenant être respectée.
Comment fonctionne les juridictions dans votre pays ? Est-ce que les affaires en cours sont impactées ?
L’administration des juridictions est encore une matière qui relève en Allemagne de la compétence des États fédérés. Ici encore, la situation n’est pas la même partout, mais en principe les juridictions continuent à fonctionner dans tous les Etats fédérés. Seules les audiences sont impactées par l’épidémie de COVID-19. En raison du principe constitutionnel de l’indépendance des juges, chaque juge peut décider individuellement de ne pas tenir des audiences pendant la crise sanitaire. La règle générale est cependant que les audiences sont maintenues dans les affaires urgentes et repoussées à une date lointaine dans les autres affaires. Dans la moyenne, les procédures dureront donc probablement plus longtemps.
Les salariés doivent-ils s’inquiéter ? Redoutez-vous une hausse des licenciements dans les entreprises de votre pays dans les prochains mois ?
Tout salarié a forcément des raisons de s’inquiéter, car sa relation de travail se trouve perturbée par la crise actuelle et la fin de la crise n’est pas encore visible.
Ceci dit, si l’arrêt quasi total de toute activité économique cesse rapidement, je pense que la très grande majorité des relations de travail se poursuivra après la crise comme avant. Les entreprises qui ne tombent pas en faillite en raison de la crise - et l’État allemand dépense beaucoup d’argent pour éviter que cela n’arrive aux entreprises – seront exposées à un surcroit de commande après la crise.
Il y aura toutefois aussi des perdants de la crise. Certaines entreprises ne survivront pas malgré les aides de l’État et certaines branches verront se réduire la demande à long terme. C’est ce à quoi s’attend la Lufthansa par exemple.
Il y aura donc forcément une hausse des licenciements, mais cette hausse ne sera vraisemblablement pas excessive et sera suivie d’une vague d’embauches, lorsque l’économie reprendra de la vitesse.
En France il existe un barème d’indemnisation pour les salariés licenciés abusivement. Considérez-vous que la justice du travail est plus favorable aux salariés dans votre pays ?
Je pense que la justice allemande est toute aussi juste que la justice française. En cas de licenciement abusif, le juge peut constater la nullité du licenciement, ce qui a pour conséquence que la relation de travail se poursuit. Toutefois, c’est rare en pratique, car le plus souvent la confiance n’existe plus entre les parties. Dans ce cas, il est d’usage de condamner l’employeur à une indemnité qui peut être très substantielle.
En France les mouvements patronaux suggèrent de supprimer des semaines de congés, est-ce qu’il faut craindre un recul des droits pour les salariés en Europe ?
Je suis convaincu qu’il n’y aura pas de recul des droits des salariés en Allemagne, aussi longtemps en tout cas que l’économie allemande ne se dégrade pas de manière substantielle et durable.
A propos de Alexander Mittmann
Maître Alexander Mittmann est avocat aux barreaux de Paris et de Hambourg, une ville au nord d’Allemagne où il exerce sa profession à titre individuel, travaillant en très grande partie pour des clients francophones.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur son site internet