Budget de la justice : Interview de Agnès Canayer, sénateur de la Seine-Maritime
Publié leCadre Averti a été créé pour accompagner les cadres dans la défense de leurs droits, malheureusement on observe depuis plusieurs années un encombrement de la justice civile, prud’homale en particulier. Pour comprendre le nouveau budget de la justice Cadre Averti interroge cette semaine, Agnès Canayer, sénateur de la Seine-Maritime co-rapporteur des crédits alloués à la justice.
Le gouvernement annonce « un budget historique » pour la justice : est-ce vraiment à la hauteur des besoins ? La France est-elle en retard par rapport à ses voisins ?
Agnès Canayer : Le budget de la mission « Justice » pour 2021 bénéficie d’une réelle augmentation de 7 % de ses crédits dont nous nous réjouissons. Cette augmentation est conforme à la trajectoire votée par le Sénat lors de la loi de programmation de la Justice du 23 mars 2019. Cependant, cette augmentation doit être relativisée car elle permet de rattraper un retard endémique d’investissement depuis plusieurs années tant dans les moyens matériels qu’humains. On est donc loin du « budget historique » annoncé par le garde des Sceaux.
Quand le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti annonce vouloir mettre des « sucres rapides » dans la justice, que doit-on comprendre ?
Agnès Canayer : Que l’objectif est avant tout celui de la réduction des délais de jugement. En effet, 1082 nouveaux emplois sont prévus (entre le Plan de relance et le PLF 2021). Mais seuls 168 seront pérennes. Les 914 autres seront des contractuels, soient des « sucres rapides » car plus facilement recrutés ! Ces juristes assistants ou aides greffiers seront affectés à la « justice pénale de proximité ». Or, si le taux de vacances des magistrats est résorbé (- de 1%), celui des greffiers reste important avec 670 postes vacants.
A Nanterre, il faut attendre 3 ans et demi pour obtenir un jugement en matière prud’homale. Les moyens alloués permettront-ils de digérer la vague des licenciements en cours ?
Agnès Canayer : les délais de jugement restent globalement trop longs et cela est particulièrement vrai en matière prud’homale comme nous l’avions soulevé dans notre rapport « la Justice prud’homale au milieu du gué » de 2019. Cela est dû en partie, au manque de moyens des greffes. Or, la crise de la COVID-19 ajoutée à la grève des avocats a largement aggravé la situation. Les agents contractuels supplémentaires concernent uniquement « la justice pénale de proximité » et ne viendront donc pas alléger la charge des juridictions prud’homales confrontées directement aux conséquences de la crise économique.
A votre avis, pourquoi le gouvernement ne cible que la justice pénale ? Le découragement des justiciables est-il institutionnalisé pour éviter les contentieux ?
Agnès Canayer : La justice pénale est aujourd’hui beaucoup plus médiatisée que la justice civile. Or, les juridictions pénales traitent 3 fois moins d’affaires que les juridictions civiles qui rendent près de 2,3 millions de décisions par an. De plus, la majeure partie du stock des affaires concerne les juridictions civiles qui ont du faire face en 2020 à une augmentation forte des affaires pendantes due à l’intégration du contentieux de la Sécurité Sociale et de l’incapacité.
Finalement, que représente pour vous une justice de proximité ?
Agnès Canayer : Une justice de proximité est une justice du quotidien. Celle qui traite des affaires qui concernent tous les citoyens comme les tutelles, les affaires familiales, prud’homales…On ne peut réduire la justice de proximité à la justice pénale qui ne concerne que les délinquants et leurs victimes !
Pour aller plus loin :
L’analyse en deux parties de Cadre Averti du rapport de Mmes Agnès Canayer, Nathalie Delattre, Corinne Féret et Pascale Gruny pointant dès 2019 le manque de moyens chroniques (Partie 1) (Partie 2).