Les trois raisons de l’explosion de l’absentéisme en entreprise

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Les trois raisons de l’explosion de l’absentéisme en entreprise

Selon le baromètre AYMING-AG2R La Mondiale, du 12 septembre 2023, l’absentéisme bat tous les records en 2022, avec une augmentation de 8% par rapport à 2021 et de 21% depuis 2019, l’année d’avant la pandémie. Pour les employeurs, les salariés sont devenus « tire-au-flanc » depuis le COVID. Mais la mauvaise opinion est réciproque. Tel qu’il résulte des chiffres du baromètre, le salarié, de son côté, a perdu tout attachement pour l’entreprise. Cadre Averti identifie 3 facteurs distincts expliquant ce désamour, et l’envolée de l’absentéisme et du « quiet quitting » (démission silencieuse), qui en sont la conséquence.

 

 

Désormais le salarié ne se projette plus dans l’entreprise qui l’emploie.

Le baromètre AYMING-AG2R La Mondiale, pointe le défaut d’engagement du salarié pour son entreprise avec des chiffres sidérants :

  • 37 % des salariés se disent en situation de « quiet quitting » (démission silencieuse) ;
  • 45 % des salariés ayant 5 ans d’ancienneté et moins souhaitent changer de situation professionnelle ;
  • 58 % des moins de 30 ans ne se projettent plus dans leur entreprise au-delà de 4 ans, contre 42 % pour les 51 ans et plus.

Par ailleurs, le salarié n’étant plus disposé à s’investir sur le long terme pour son employeur, ses critères lorsqu’il change d’entreprise ont changé. En premier lieu il s’attache aux conditions de travail (télétravail quand c’est possible) et à la possibilité de concilier vie personnelle et vie professionnelle. En second lieu, intervient la rémunération. Faute de perspectives d’évolution dans l’entreprise sur la durée, ce qui est pris n’est plus à prendre !

Premier facteur, la précarité volontairement instaurée

Avant 2017 et le détricotage du droit du travail, via notamment le barème Macron qui rend de fait impossible l’indemnisation du licenciement abusif, le salarié entrait en confiance au service d’un nouvel employeur. Il savait qu’en cas de licenciement mal fondé, il obtiendrait du Conseil de Prud’hommes la réparation de son préjudice et que de ce fait l’employeur lui proposerait probablement au moment de son départ, une indemnité transactionnelle.

A présent, ce qu’il sait, par avance, c’est que quel que soit son investissement, ses sacrifices, sa profitabilité, le mode de séparation à l’initiative de l’employeur sera la rupture conventionnelle, avec une indemnité légale et conventionnelle minimaliste, puisque statistiquement, en raison du turnover qui s’accélère dans les entreprises, il n’aura pas d’ancienneté.

Comme il n’existe plus de risque judiciaire, puisque le Conseil de Prud’hommes, entravé par le barème Macron pourtant condamné par l’Europe, ne peut, quand il constate que le licenciement est abusif, qu’allouer des dommages et intérêts dérisoires, il n’y a plus matière à réclamer une indemnité transactionnelle. Désormais, le salarié limogé, au lieu de « faire des histoires » et de chercher à obtenir une indemnisation devant le Conseil de Prud’hommes en s’adressant pour cela à des avocats « dévoyés », doit admettre que la notion de licenciement abusif est devenue obsolète et que la règle est le départ d’un commun accord et en bonne entente qu’offre la rupture conventionnelle.

Comme les salariés ne sont pas dupes, la conséquence est forcément une réticence de leur part à se dévouer sans compter pour un employeur qui les place dès leur embauche sur un siège éjectable, à tout moment, pour n’importe quelle raison (même la plus cynique) et sans aucune réparation.

Deuxième facteur, la discrimination vis-à-vis des salariés âgés.

Il s’agit d’une spécificité française illustrée par le tableau ci-dessous.

Taux d'emploi des séniors

Seuls le Luxembourg et l’Autriche, font plus mal que la France.

Les entreprises françaises n’ont pas de considération pour les salariés âgés qu’elles laissent végéter à partir de la cinquantaine, avec l’idée de s’en débarrasser au plus tôt, au lieu de leur assurer les formations qui leur permettraient, comme dans les pays de l’Europe du Nord et notamment l’Allemagne, de se maintenir en poste en étant profitable jusqu’au moment où ils prennent leur retraite.

En France, les seniors sont paralysés par la crainte d’être licenciés sans pouvoir se repositionner. Ils savent en effet qu’avec la réduction de la durée du chômage (27 mois au lieu de 36), et l’allongement de l’âge de la retraite, ils se retrouveront dans le « halo autour du chômage », soit la période où ils devront vivre de leurs seules économies puisqu’ils auront épuisé leurs droits aux indemnités Pôle Emploi, alors qu’ils ne peuvent pas encore prendre leur retraite ou leur retraite à taux plein. Quelles que soient les brimades subies pour les obliger à partir d’eux-mêmes (placardisation, rétrogradation) ils s’accrochent à leur poste, au détriment de leur santé et finissent par partir en maladie, l’employeur transférant alors à la sécurité sociale la charge du salaire.

Si l’analyse de l’étude AYMING-AG2R La Mondiale était plus fine on constaterait qu’il s’agit là du principal facteur d’augmentation des prestations de sécurité sociale.

Il est clair, en tous cas, que la projection de carrière au sein de l’entreprise pour les jeunes recrues qui constatent le sort réservé à leurs ainés n’est pas attractive.

Bien sûr, il faut distinguer les grandes entreprises où le sort des salariés est régi par les politiques RH (Ressources Humaines), et les petites structures où c’est le facteur humain qui prédomine : on ne se sépare pas pour des raisons de pyramide des âges ou d’économie de masse salariale, d’un collaborateur qui fait bien son travail.

Troisième facteur, la mise au pilori des managers accusés de harcèlement moral.

Dans une période de pénurie d’embauche, il faut séduire les candidats. Surtout vis-à-vis de la jeune génération, il faut se présenter comme une entreprise à sens ou à mission, et donner des gages en matière de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise). C’est en effet désormais, tel que l’analyse Anne de Guigné dans son ouvrage « Le capitalisme woke », aux entreprises et non plus à l’Etat qu’il incombe de diffuser et de promouvoir les valeurs. S’il est parfois difficile pour l’entreprise de faire coïncider son discours avec ses performances sur le plan écologique/énergétique, en matière de RSE, il est aisé pour elle d’afficher une tolérance 0 pour tout comportement susceptible de caractériser des agissements de harcèlement moral. Les grandes entreprises bruissent de ces enquêtes à grand spectacle dites « internes », déployées au premier « signalement » et dans le cadre desquelles un grand nombre de collaborateurs sont « auditionnés » pour s’exprimer sur les faits reprochés à leur manager, avec un formalisme apparent qui cache en réalité une violation totale du contradictoire et des droits de la défense. Le manager incriminé, s’il est entendu dans le cadre de l’enquête, laquelle peut intervenir à son insu pour « protéger les victimes » et « libérer la parole », ne peut savoir qui l’accuse et de quoi, en vertu de la nécessité de « préserver l’anonymat des victimes », lesquelles peuvent désormais selon la Cour de Cassation témoigner en justice de façon anonyme !!!

Pour l’employeur, c’est l’occasion de faire « d’une pierre deux coups ». Il se montre exemplaire sur le plan de la RSE et il se sépare, sans bourse délier, d’un cadre généralement ancien, âgé et cher, au moyen d’une transaction proposée au dernier moment pour lui éviter l’humiliation d’un licenciement pour harcèlement moral.

Toutefois c’est oublier que ce type de licenciement infligé à des collaborateurs à qui on n’a rien à reprocher sur le plan des fonctions mais qui coûtent cher à licencier est extrêmement répandu au sein des grandes entreprises et que les victimes de ces procédés qui terminent ainsi honteusement leur carrière ont des enfants qui ont à leur tour intégré le monde du travail. Les parents se sont inclinés mais les enfants ne pardonnent pas.

Et que dire du jeune collaborateur attrait dans la nasse d’une enquête où on lui demande de déblatérer contre son patron qu’il considère comme un chic type, uniquement pour pouvoir économiser les indemnités de rupture du contrat de travail de ce dernier. Sa défiance vis-à-vis de l’entreprise sera irréversible.

Quelles solutions pour endiguer l’absentéisme ?

La solution préconisée par les Pouvoirs publics pour dissuader les salariés de recourir à l’absentéisme est d’administrer le « bâton ». Punir les salariés en imposant à tous un délai de 3 jours de carence et même en étendant ce délai à 7 jours. Sanctionner les médecins qui prescrivent des arrêts maladie « de complaisance ».

La vraie question qui se pose est de savoir si la période de pénurie actuelle d’embauche avec des salariés qui sont en position de force va s’inverser. Il faut pour cela que le chômage reprenne, avec des salariés qui, ayant faim, seront plus dociles. Or, les perspectives de rebond du chômage sont faibles, sauf à ce qu’une crise économique majeure intervienne.

En effet, il résulte du tableau INSEE ci-dessous, que depuis 2015 le chômage a décru pour des raisons strictement démographiques, du fait du départ à la retraite des « baby-boomers ». La population au travail qui a enregistré, avant 2015, pendant 30 ans environ, 210.000 travailleurs supplémentaires, est désormais stable, avant d’entamer vers 2040 (sans doute plus tôt) une décrue. Une croissance 0 ou même légèrement négative, n’aura aucun effet sur le chômage. Il s’agit là d’une situation qui était prévisible en 2017, lors de la décision de détricoter le droit du travail avec les conséquences que l’on constate aujourd’hui.

Projection population active moyenne annuelle

On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Plutôt que de bastonner les salariés, ne pourrait-on pas s’attacher à les réconcilier avec l’entreprise, et leur donner ainsi envie de s’investir à nouveau pour cette dernière.

Plutôt que l’actuel discours relevant du « greenwashing » qui n’abuse aucunement les salariés tel qu’il résulte des statistiques de l’étude AYMING-AG2R La Mondiale, cela doit passer par une restauration du droit du travail et la restitution au juge prud’homal du rôle indispensable d’arbitre qu’il doit jouer entre l’entreprise et le salarié.

Ce dernier, de son côté, ne doit pas rester inerte. Plutôt que de subir, avec les soupapes que sont l’absentéisme et la démission silencieuse, il doit s’investir pour le bien commun, entreprise et salariés, via un engagement syndical, quel que soit son niveau de poste, à l’identique du modèle nord-européen où la gouvernance à 50/50 entre les représentants des salariés et des actionnaires a permis aux pays concernés d’éviter les dérives que sont la délocalisation massive, la discrimination vis-à-vis des salariés âgés, la revente tous les 5 à 7 ans de la même entreprise détenue par des fonds d’investissements, etc...

Tel qu’explicité dans le très instructif ouvrage « Quelle économie politique pour la France ? : Pour un nouveau pacte État-entreprises-citoyens » d’Yves Perrier et de François Ewald, c’est sur ce modèle, où les représentants des salariés et des actionnaires disposent du même nombre de sièges aux conseils de surveillance des sociétés, que l’Allemagne a bâti ses « 30 glorieuses », prenant le relais des 30 glorieuses françaises.

Plutôt que de traiter les salariés comme des ressources déshumanisées, il faut leur rendre leur motivation. C’est à ce compte là qu’ils s’investiront de nouveau à plein et que l’absentéisme reculera.


À propos de Cadre Averti

Conçu par Françoise de Saint Sernin, avocate spécialisée dans la défense des intérêts des cadres et dirigeants au sein du cabinet saintsernin-avocats.fr, Cadre Averti a pour ambition de répondre aux premières interrogations de salariés confrontés à un aléa de carrière. Ce site propose ainsi un grand nombre de fiches techniques permettant immédiatement de comprendre les enjeux d’un dossier et de se repérer dans le maquis des textes.

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