« Rester performant, c’est prendre soin de soi et des autres ! » Virginie David Cosme
Publié leSpécialisée dans le management de la Qualité de Vie au Travail depuis 2008, Virginie David Cosme intervient auprès des différents publics de l’entreprise et des organisations : RH, services de santé au travail, managers, représentants du personnel et collaborateurs. Fondatrice du cabinet Ageqi.fr, elle répond cette semaine aux questions de Cadre Averti.
Cadre Averti : On parle de plus en plus de souffrance au travail, est-ce que ce n'est pas propre au travail ?
Virginie David Cosme : Sujet sensible qui ramène aux recherches sur l’étymologie du mot travail. Doit-on nécessairement associer la notion d’aliénation au travail de son origine latine « tripalium » (qui veut dire torture/tourment) ou ne retenir que la notion de création/activité naturelle qui procure de la joie en référence au terme moyenâgeux d’ouvrage ?
Je pense pour ma part qu’il est préférable d’intégrer ces deux polarités (peine et satisfaction) à la thématique du travail plutôt que de les opposer. Dans ma pratique de consultante, aborder la notion de travail dans sa complexité est très utile à sa compréhension, en particulier par le management : quels sont les risques mais aussi les ressources, comment faire pour maintenir l’équilibre et offrir des espaces de régulation ?
Cadre Averti : En quoi consiste la prévention de la souffrance au travail ?
Virginie David Cosme : Pour rester dans une approche pragmatique de la prévention des Risques Psychosociaux, il s’agit d’entreprendre une démarche coordonnée de Qualité de Vie au Travail pilotée par la Direction en créant un groupe paritaire souvent appelé comité de pilotage qui sera amené à faire un diagnostic de l’existant et à mettre en place des actions de prévention le plus en amont possible. Cet audit peut se faire en interne ou avec l’aide d’un Intervenant en Prévention des Risques Professionnels (ou IPRP) pour identifier les problèmes et préconiser des pistes de solutions mais bien sûr c’est l’occasion de partager par les équipes les ressentis et de créer une dynamique collective. D’où l’importance de privilégier les entretiens.
Quelques idées phares : accompagner les transformations pour prendre soin de l’identité professionnelle des personnes, donner du sens pour favoriser la motivation, proscrire le management par la pression temporelle car c’est contreproductif, développer de la créativité et de la convivialité.
Cadre Averti : Pourquoi relier « Qualité de Vie » et « Efficacité » ?
Virginie David Cosme : La notion d’interaction est au cœur de la réponse. Si on reste sur une logique de résultat (demander plus de contrats, plus de rendement, plus de pièces à l’heure...) on met en œuvre une « efficacité muette », basée sur des rapports de « domination », peu en lien avec la qualité de vie...
Je propose d’éclairer mon propos avec l’Accord National Interprofessionnel sur la QVT qui indique que toute démarche de Qualité de vie au travail se doit d’intégrer les notions de réalisation des personnes et de développement personnel, donc attention au sens que l’on met dans le mot efficacité qui peut devenir froid, déconnecté des personnes qui travaillent (nous ne sommes pas des machines) ou au contraire en lien avec le vivant... Sur ce sujet il faut absolument lire le livre d’Hartmut Rosa : « Résonance, sociologie de la relation au monde ».
Cadre Averti : Comment ces notions interagissent-elles ?
Virginie David Cosme : Si on passe à une logique de développement des personnes, qu’on laisse la possibilité aux collaborateurs de proposer des choses, d’explorer, d’agir à leur niveau sur l’organisation on impulse alors une « efficacité résonnante » basée sur les phénomènes de réponse (j’agis sur le travail et le travail me transforme). Ce mode d’organisation permet de développer le sentiment d’efficacité personnelle ce qui leur procure du bien-être.
Cadre Averti : Donc, pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi ?
Virginie David Cosme : Oui car prendre soin demande une intelligence émotionnelle qui passe par le ressenti... si je ne ressens pas mes propres besoins (psychologiques ou physiologiques) il y a peu de chance que je sois en capacité de repérer les signes que m’envoient les autres quant à la satisfaction de leur besoin.
Prenons un exemple : si je ne ressens pas mes signaux de fatigue ou d’engourdissement des jambes au bout d’une heure et demie de réunion de travail assis, je vais continuer sur le même mode en m’obligeant à rester concentrée et en imposant mon choix aux autres.
Alors que tout mon corps dit stop et que l’attention de mes interlocuteurs baisse, je ne garde que le résultat comme seul critère et j’oublie l’inconfort produit... une pause de 10 minutes aurait permis de reprendre dans de bien meilleures conditions ou bien une activité créative qui implique d’autre sens que l’écoute. Combien de colloques sur la QVT sont organisés sur ce mode et enchaînent les tables rondes... quitte à assommer les auditeurs ? Malgré la qualité des intervenants, personne ne dit rien alors que tout le monde a mal au dos et la tête qui bourdonne à la fin de la matinée... ce qui n’est pas très congruent avec le thème de la qualité de vie.
Cadre Averti : Quels sont les critères d’une organisation (cohérente) qui préserve ses salariés
Virginie David Cosme : En redonnant de la place aux notions de bien commun et d’intérêt général. Une entreprise n’a pas pour objet de faire des profits à tout prix, j’entends parfois dans des sessions de formation aux RPS dans la bouche même des salariés : « c’est normal que la direction nous impose des horaires atypiques car ça permet de ne pas interrompre la production et de réduire le nombre de salariés », en se fichant bien des dégâts sur la santé et l’équilibre de vie des salariés ! Et bien non, la responsabilité sociale et environnementale ce n’est pas qu’une belle formule !
L’entreprise droit être cohérente pour éviter de plonger les salariés dans des injonctions contradictoires du type : « sois créatif mais utilise uniquement l’outil autorisé par l’entreprise », « fais preuve d’autonomie mais remplis ton reporting tous les matins avant de commencer à travailler à 9H précises », « coopère mais accepte d’être évalués sur des critères individuels », « signe un avenant au contrat en télétravail (on n’a pas beaucoup d’espace, ça nous arrange) mais uniquement le mardi et le jeudi car le reste du temps on veut t’avoir sous surveillance ».
Pour résumer, la capacité de pouvoir agir véritablement sur son environnement de travail diminue considérablement les risques de burn-out et l’implication de chacun favorise l’amélioration de la performance collective.
Pour aller plus loin :
- Comment identifier une discrimination ?
- Pourquoi faut-il systématiquement dénoncer des faits de harcèlement moral quand on est victime ?
- Quels sont mes interlocuteurs si je constate une situation de harcèlement sexuel dans mon entreprise ? Suis-je protégé(e) ?