De 6 mois à 4 ans, pourquoi une telle différence de traitement des dossiers selon le Conseil des prud'hommes saisi ?

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De 6 mois à 4 ans, pourquoi une telle différence de traitement des dossiers selon le Conseil des prud'hommes saisi ?

Le délai de la procédure prud'homale est soumis à des variations très importantes selon le Conseil des prud'hommes territorialement compétent : 6 mois au plus vite, 4 ans au plus long, et même 6 ans si l'affaire est renvoyée devant le juge départiteur.

Une salariée qui avait saisi un Conseil des prud'hommes limitrophe au motif que la Convention européenne des droits de l'homme érige en son article 6-1 que « tout procès doit être jugé dans un délai raisonnable » vient d’être déboutée par la Cour de Cassation.

C'est la compétence territoriale du Conseil des prud'hommes qui s'impose et les « vases communicants » sont interdits.

Comment identifier le Conseil des prud'hommes compétent en cas de conflit avec l'employeur ?

L'article R.1412-1 du Code du travail permet au salarié de choisir le Conseil des prud'hommes territorialement compétent en fonction de :

  • soit du lieu dans lequel il accomplit son travail ;
  • soit du lieu de son domicile, s'il travaille à domicile ;
  • soit du lieu où se trouve le siège social de l'entreprise qui l'emploie ;
  • soit du lieu où il a signé son contrat de travail. 

Le salarié dispose donc de plusieurs options et bien entendu, il choisira le Conseil des prud'hommes le plus rapide en matière de délai.

Toutefois, souvent, le salarié a signé un contrat de travail là où l'entreprise est établie, et c'est là qu'il travaille. Un seul Conseil des prud'hommes est alors compétent.

Le cas du Conseil des prud'hommes de Nanterre.

Les Hauts-de-Seine sont un département très riche en emplois et notamment ceux des cadres salariés des grandes entreprises implantées dans les tours de La Défense.

Or, le Conseil des prud'hommes bénéficie des mêmes moyens que ceux des autres Conseils, beaucoup moins encombrés.

Résultat, une procédure prud'homale dure à Nanterre 4 ans. Si de surcroît l'affaire est renvoyée devant le juge départiteur, soit un magistrat professionnel qui départage les quatre conseillers prud'hommes (deux représentant les employeurs, deux représentant les salariés) quand ils ne se sont pas mis d'accord, les délais s'allongent de deux ans, soit six ans au total pour obtenir un jugement en première instance.

Si l'on ajoute à cela la procédure d'appel (environ 2 ans) et dans des cas heureusement beaucoup plus rares, le pourvoi en cassation, le salarié peut attendre sa décision prud'homale pendant près de 10 ans.

Ce qui est à l'évidence, un délai excessif.

Malgré la disparité des délais, la Cour de cassation reste intraitable sur l'obligation de saisir le Conseil des prud'hommes territorialement compétent.

Une salariée avait été embauchée et travaillait à Courbevoie où se trouvait le siège social de l'employeur.

N’ayant donc comme choix de juridiction que le Conseil des prud'hommes de Nanterre, avec ses 4 ans de délai, elle décidait de saisir un Conseil de prud'hommes limitrophe, celui de Versailles, beaucoup plus rapide, en faisant valoir que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme devait s'imposer par rapport à la compétence territoriale du Code du travail français, puisque « les conflits du travail portant sur des points qui sont d'une importance capitale pour la situation professionnelle d'une personne doivent être résolus avec une célérité particulière ».

Or, malgré l'évidence du dysfonctionnement de la justice prud'homale, qui en l'occurrence, est une véritable « loterie », elle était déboutée : c'est la loi française qui s'impose par rapport à la loi européenne !

Il convient de rappeler que c'est la même chose pour le « barème Macron », qui réduit à peau de chagrin les indemnités de licenciement abusif. Sanctionné par l'Europe comme n’assurant pas une juste réparation du préjudice causé en cas de licenciement abusif, il est maintenu par la Cour de cassation.

Des délais de procédure qui ne cessent de s'allonger, alors que le nombre des affaires prud'homales ne cesse de chuter.

C'est le paradoxe que dénonçait la Cour des Comptes qui, dans un rapport publié le 22 juin 2023, constatait que la durée de traitement des affaires « demeurait excessive » et continuait même d'augmenter alors que les réformes du droit du travail en 2017 avaient entraîné une réduction très importante des recours aux Prud'hommes (sachant que c’était le but).

Elle l’illustrait par les deux tableaux suivants :

 Evolution trimestrielle de la durée des affaires terminées des CPH de 2009 à 2021 

Evolution du nombre des affaires nouvelles par an - Conseil des prud'hommes

 

Cette chute des saisines prud'homales est d'autant plus surprenante que le nombre des licenciements a très fortement augmenté depuis 2015.

La raison de l'allongement de la procédure prud'homale.

La procédure prud'homale a été profondément remaniée par la loi Macron du 6 août 2015, entrée en application le 1er août 2016.

Auparavant, le salarié pouvait saisir le Conseil des prud'hommes par simple lettre, il pouvait se présenter seul ainsi que modifier et ajuster au fur et à mesure ses demandes, ce jusqu'à l'audience de plaidoirie devant la Cour d'Appel.

À présent, il doit déposer une requête argumentée en fait et en droit, chiffrant ses demandes.

Il n'a pas droit à l'erreur. S'il se trompe ou s'il commet un oubli, il sera obligé de déposer une nouvelle requête avec une jonction des affaires lors d'audiences intermédiaires et beaucoup de temps perdu.

Il ne se risque plus à saisir tout seul le Conseil des prud'hommes sans faire appel à un avocat ou à un conseiller du salarié puisque de toute façon devant la Cour d'appel, il ne peut plus se présenter seul, comme c'était le cas auparavant.

Même en l'absence d'erreur, il y a souvent pour une même affaire une multiplication des requêtes. C'est notamment le cas quand un salarié a saisi le Conseil des prud'hommes en dénonçant une situation de harcèlement moral. Si juste avant que son affaire ne soit plaidée, il est licencié, il devra alors déposer une nouvelle requête pour attaquer le licenciement et son affaire sera alors renvoyée pour jonction des deux requêtes à des délais lointains.

Les affaires prud'homales, simples autrefois, avec seulement deux audiences, une audience de conciliation et une audience du bureau de jugement, sont devenues complexes nécessitant des audiences intermédiaires de mise en état qui accaparent les conseillers ainsi qu’également les greffiers.

En effet, pour provoquer l'engorgement d’un Conseil des prud'hommes, il suffit de réduire le nombre de greffiers, partant du principe que ces derniers sont en surnombre, du fait de la diminution des saisines prud'homales. C'est ce qui s'est passé au Conseil des prud'hommes de Nanterre.

Le salarié confronté à des délais de procédure prud'homale excessifs peut-il obtenir une indemnisation ?

Le salarié qui a attendu un jugement pendant des années, peut effectivement obtenir une indemnisation à ce titre. Il doit saisir le tribunal judiciaire, lequel condamnera l'État français à lui verser des indemnités en fonction de la longueur excessive de son procès prud'homal.

Les sommes perçues ne sont pas négligeables. Ainsi, le tribunal judiciaire de Paris par un jugement du 14 décembre 2023 (n°23/08541) condamnait l'État français sur le fondement suivant :

« L’appréciation d'un allongement excessif du délai de réponse judiciaire susceptible d'être assimilé à un refus de juger et partant à un déni de justice engageant la responsabilité de l'État sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire s'effectue de manière concrète au regard des circonstances propres à chaque procédure ».

Il allouait des dommages et intérêts de l'ordre de 7 millions d'euros aux 1051 personnes victimes de délais de jugement excessif, soit une moyenne d'environ 7000 € par plaignant. L'État français préfère se laisser condamner ainsi, plutôt que de mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés.

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