Une réforme injuste de l'assurance chômage ? Entretien avec Rémy Giemza
Publié leUne énième réforme de l’assurance chômage vient d’être adoptée. Alors que de nombreux demandeurs d’emplois vont voir à nouveau de voir leurs droits diminuer, Cadre Averti interroge cette semaine Rémy Giemza, spécialiste des questions d’indemnisation chômage et retraite, pour comprendre les vrais objectifs de la réforme.
Cadre Averti - Dans un post LinkedIn très partagé vous soulignez que les allocations chômage devraient être réduites dès le début de l'année prochaine. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs de Cadre Averti pourquoi ?
Rémy Giemza : Contre toute attente, Emmanuel Macron s’apprête à réformer le chômage en réduisant la durée des droits dès le 1ᵉʳ février prochain, soit en pleine période de grand trouble. En réalité, il faut se souvenir que le président de la République aura réformé trois fois le chômage en à peine deux ans. Souvenons-nous en effet que le gouvernement a d’abord réduit le montant des allocations en introduisant un mécanisme de dégressivité, entré en vigueur le 1ᵉʳ novembre 2019.
Dès-lors, les premiers contributeurs à la société qui sont les cadres peuvent perdre jusqu’à 30% de leurs allocations alors qu’ils passent jusqu’à 8 entretiens pour reprendre un poste et qu’ils mettront plus d’une année à trouver un emploi.
J’accompagne actuellement une haute dirigeante française qui paie plus de 100.000€ de charges et d’impôts par an et qui ne perçoit plus aujourd’hui que 23% de son ancien revenu (perte de 77% du revenu après une mise au chômage dans la douleur, car liée à un harcèlement puis un burnout). C’est édifiant et consternant.
Par la suite, le président de la République a lancé une seconde réforme imposant la prise en compte de jours non travaillés dans le calcul du chômage. Cette réforme est définitivement entrée en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2021. Elle plonge ainsi les intérimaires et autres travailleurs pauvres dans la précarité et condamne ainsi tous ceux qui n’ont pas le choix que de cumuler des missions et des CDD sur la base de deux idées fausses : il y aurait trop d’abus en matière de chômage et le chômage serait choisi alors qu’il est subi.
Non content d’avoir ainsi mis à sac le système de protection sociale des candidats à l’emploi, le président de la République, par la voix de son Ministre du Travail, Olivier Dussopt, une personnalité politique de gauche, fait savoir que, à compter du 1ᵉʳ février 2023, les allocations seront désormais réduites dans leur durée. En effet, un coefficient (et donc une division), sera appliqué sur la durée du chômage pour la réduire. Le coefficient retenu est de 25%. Il réduira donc la durée du chômage d’un quart.
Par ailleurs, une couleur a été retenue pour considérer l’applicabilité de ce coefficient : jusqu’à 9% de chômage, le pays serait « dans le vert » en matière d’emploi et passerait « dans le rouge » après ce cap. On le voit bien, 9% est un chiffre en trompe-l'œil. Comment peut-on considérer qu’un pays va bien quand près de 10% de sa population est au chômage ?
En définitive, on a l’impression que le président de la République passe son temps à réformer le chômage. Et frapper ainsi sur le revenu des plus pauvres est une politique un peu décevante pour quelqu’un qui disait créer la « start-up nation » en prônant une politique nouvelle.
Ainsi, cette énième réforme du chômage résonne-t-elle déjà comme une forme d’échec de la politique de l’emploi du Président Macron ? N’ayant pas réussi à donner à la France une véritable économie florissante et le plein emploi, il aurait choisi le repli : briser le revenu des chômeurs pour accélérer les désinscriptions à Pôle emploi et faire baisser leur nombre ?
Cette réduction de la durée du chômage serait basée sur des études dont on ne connait pas la référence selon lesquelles plus la durée du chômage serait courte, plus le retour à l’emploi serait rapide (contrainte par le temps). Or, selon le magazine Alternatives Économiques, la fin des indemnités chômage accélèrerait la recherche d’emplois… précaires.
Cadre Averti - Alors que le gouvernement met en avant une embellie des chiffres de l’emploi, cette réforme est-elle vraiment essentielle aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à une réforme par an ?
Rémy Giemza : Le timing choisi est sans doute le pire que l’on puisse imaginer. Je suis intervenu pour animer une conférence sur le droit de l’assurance-chômage publique devant la DFCG (Association nationale des dirigeants financiers et des contrôleurs de gestion) il y a quelques jours et le constat est le même partout.
Les entreprises font face à une triple difficulté encore accentuée par le contexte général de guerre en Ukraine. L’inflation, tout d’abord dont chacun connaît la difficulté du calcul. Là où les denrées alimentaires de première nécessité prennent jusqu’à 30% d'augmentation, l’Insee table sur une hausse moyenne de 5,6% sur l’année (baromètre au 30 septembre 2022). Ensuite, le prix de l’énergie pose un vrai problème. Chacun peut songer au cas du producteur d’endives qui déclarait sur France Télévision, il y a quelque temps, payer environ 80.000€ d’électricité par an et qui s'est vu proposer un réajustement de contrat à plus de 800.000€ à compter du 1ᵉʳ janvier prochain, de quoi mettre la clé sous la porte selon lui. En troisième lieu, il faut songer au remboursement des PGE, prêts garantis par l’État accordés pendant la crise Covid, que les entreprises doivent rembourser. Ce sont ainsi 148 milliards d’euros prêtés à 700.000 entreprises selon le site internet www.lemondedudroit.fr.
Or, il faut savoir que l’État, au travers du réseau bancaire, a prêté aux entreprises sous la forme de contrats qui prévoient des modalités de remboursement avec deux options.
La première consiste à rembourser le prêt en une fois.
La seconde option consiste à rembourser sur 6 ans avec un décalage des remboursements d’une année supplémentaire (souplesse accordée au débiteur). Or, toujours selon lemondedudroit.fr, seules 11% des entreprises s’étaient acquittées de leur dette au 6 octobre 2022. Ainsi, les montants des mensualités des PGE mis en place par le gouvernement d’Emmanuel Macron sont tout aussi exigibles que colossaux et vont accélérer les difficultés des entreprises. Du côté des salariés, cette réforme est très dangereuse, car elle met en péril le versement du chômage au moment où, potentiellement, une récession pourrait apparaître. En effet, il ne faut pas oublier que réduire la durée du chômage, comme vient de le décider le gouvernement, peut aboutir à des effets dévastateurs en cas de retournement brutal du contexte économique.
Ainsi, qu’adviendrait-il si tous les demandeurs d’emploi qui connaîtront une réduction de la durée de chômage à compter du 1er février 2023 se retrouvaient également confrontés à une crise majeure dans cette même année ? Ils auront des droits réduits au moment même où nous assisterions à une raréfaction des emplois. La réponse du gouvernement consiste à affirmer que les droits perdus pourraient finalement être reversés si la conjoncture se dégrade. Le résultat de cette incroyable modulation de la durée du chômage est accablant : à contexte économique constant, aucun demandeur d’emploi n’aura le même droit au chômage. C’est dramatique et tellement mal calculé.
Cadre Averti - Désormais après deux refus de CDI après un CDD ou un contrat d’intérim sur le même poste, les demandeurs d’emplois seront privés d’indemnisation. Est-ce qu’on peut encore parler d’assurance chômage ?
Rémy Giemza : Il y a bien longtemps que l’on ne peut plus véritablement parler d’une assurance chômage. En effet, Emmanuel Macron avait anticipé les critiques potentielles de ses réformes sur le chômage, dont la plus importante d’entre elles qui consistait à se plaindre d’un droit lié aux cotisations (« j’ai cotisé, j’ai donc droit au chômage »). Ainsi, très discrètement et dans l’indifférence générale, la cotisation directe sur le chômage a tout simplement été supprimée dès octobre 2018 (suppression des 2,4% de cotisation salariale sur les fiches de paie au profit d’une part de la SCG+CRDS).
Aujourd’hui, on ne peut donc plus s’exprimer vraiment en termes d’assurance chômage, mais l’on a également plus le droit de se plaindre.
Cadre Averti - Le député Pierre Dharréville dénonce un texte qui « va aggraver la situation des chômeurs de notre pays ». Partagez-vous son analyse ?
Rémy Giemza : Au-delà de la couleur politique de ce député, je ne peux que partager son analyse. N'oublions pas que, contrairement à une idée bien reçue, le chômage ne représente pas 57% de l’ancien salaire brut comme on peut le lire partout. En effet, comme le revenu du travail, les allocations de retour à l’emploi font l’objet de retenues sociales et les chômeurs, comme les salariés, cotisent sur leur chômage pour leur retraite et leur sécurité sociale. Par ailleurs, comme les salariés, les chômeurs paient des impôts sur leur revenu de substitution. En définitive, le chômage ne représente que 50% environ de l’ancien revenu.
En chiffres, un salarié qui gagne 2.000€ nets par mois aura droit à environ 1.300€ une fois au chômage. De la même façon, un cadre gagnant 6.000€ nets, aura droit à 3.900€ pendant 6 mois puis 2.700€ environ après application de la dégressivité le cas échéant.
Désormais, à la pression du revenu qui diminue fortement face aux dérives inflationnistes, il va falloir faire face à la pression d’un chômage versé moins longtemps.
Cadre Averti - Pourquoi les cadres seniors seront les plus impactés par cette nouvelle réforme de l’assurance chômage ?
Rémy Giemza : Les cadres séniors sont les salariés qui pâtiront le plus de cette réforme, au moins pour deux raisons.
La première est que, en qualité de cadres, ils financent l’ensemble de la société française. L’estimateur de cotisations sociales officiel des Urssaf que l’on peut trouver sur internet est effrayant. Une personne qui gagne 13.712 euros bruts par mois (plafond des cotisations chômage) paiera à elle seule l’équivalent de 104.000€ de charges sociales par an ! Ceci, sans parler des impôts. Or, le plus souvent, ces niveaux de rémunération sont réservés aux séniors ayant gravi les échelons de l’entreprise.
Dans la même idée — ce qui est pour moi le plus pénible avec cette réforme — les plafonds des cotisations sociales vont être très fortement réévalués dès le 1ᵉʳ janvier prochain. Actuellement fixé à 41.136€, le P.A.S (« plafond annuel de la sécurité sociale ») sera réévalué à la hauteur de 6,90% selon les Urssaf, soit une augmentation des charges sociales qui pourrait représenter plusieurs milliers d’euros par an. Or, qui sont les salariés qui ont les rémunérations les plus élevés dans l’entreprise ? Les séniors, bien évidement. Ce sont donc les cadres séniors qui paient le plus de cotisations sociales, mais ce sont également eux qui sont le plus exposés à un chômage réduit, du fait de cette réforme. Et la réduction promet d’être très dure.
En effet, les séniors risquent de voir le montant de leurs allocations réduit du fait de la dégressivité mais, désormais, pour peu qu’ils soient à quelques années de la retraite, le dispositif qui consiste à maintenir leurs allocations jusqu’à la retraite à taux plein risque de ne plus pouvoir s’appliquer, la durée des droits étant désormais réduite.
Pire encore, les séniors restent la catégorie de salariés toujours exclue du CDI. Pour la plupart d’entre eux s’impose donc une vision de fin de carrière entre-coupée par des missions en entreprise et des périodes de chômage. Il s’agit de l’intérim des cadres que l’on appelle pudiquement le « management de transition ». Or, ces personnes peuvent potentiellement bénéficier d’une recharge de leur chômage afin de garantir un revenu de substitution quand elles se trouvent entre deux emplois.
Avec cette nouvelle réforme, un scénario noir se profile pour les séniors cadres : l’impossibilité de retrouver un emploi pérenne, l’obligation de se contenter d’un revenu qui diminue avec le temps et la coupure pure et simple du revenu procuré par le chômage avant de pouvoir prendre une retraite elle-même impactée par la perte d’emploi et le chômage réduit !
Le scénario est pire encore lorsqu’il s’articule avec la future réforme des retraites qui envisage de déplacer l’âge légal de 62 à 64 ans. Que va-t-on faire de nos chômeurs séniors ? Couper leur revenu ? Est-ce une façon de remercier les cadres et dirigeants qui paient plus de 100.000€ par an pour faire vivre la nation ?
Cadre Averti - La réforme entérine également l’assimilation de « l’abandon de poste » à une démission sans indemnités pour le salarié. Que vont devenir selon-vous les salariés qui n’arriveront pas à négocier leur départ ?
Rémy Giemza : La réponse est claire : ils n’auront pas accès au revenu de substitution versé par Pôle emploi pour une raison d’ordre juridique et assurantiel.
En effet, Pôle emploi a un rôle d’assureur qui vise à indemniser du préjudice de la perte effective d’emploi. Et, sauf cas exceptionnels, le demandeur d’emploi démissionnaire est considéré comme ayant quitté volontairement son emploi. Ainsi, l’abandon de poste donnant la réputation de démissionnaire au salarié, aucune allocation ne sera envisageable dans son cas sauf s'il obtient gain de cause devant les Prud'hommes.
Par ailleurs, cette situation cache des réalités très diverses.
Tout d’abord, cette réforme va gêner nombre d’entreprises, car, il ne faut pas l’oublier, l’abandon de poste équivaut le plus souvent à un licenciement pour faute lourde, ce qui permet à l’entreprise de ne verser aucune indemnité de fin de contrat de travail (sauf les congés payés). Or – on ne le sait que peu – mais dans de nombreuses entreprises de taille modeste comme dans l’hôtellerie et la restauration – ce sont souvent les employeurs qui invitent les salariés à abandonner leur poste afin de pouvoir les licencier pour faute et économiser sur le solde de tout compte. Au demeurant, un abandon de poste n’est jamais un choix facile. Harcèlement, malveillance, voire forme de maltraitance des employeurs vis-à-vis de leurs salariés, sont fréquemment à l’origine des abandons de poste. Ainsi, les doubles préjudices de pression au travail puis de perte d’emploi ne seront plus réparés par l’assurance-chômage, laissant de nombreuses personnes dans la détresse.
Cadre Averti - Puisque le sujet semble toujours être à l’ordre du jour du gouvernement, les salariés peuvent-ils espérer une réforme des retraites plus juste ? Que sait-on à ce stade ?
Rémy Giemza : Théoriquement, l’âge légal devrait être déplacé de deux ans au moins. Mais, la seule chose qui est certaine, c’est l’incertitude !
Sur la question du chômage, le gouvernement avait d’abord indiqué que les règles actuelles perdureraient jusqu’au 31 décembre 2023, puis il a finalement réformé plus tôt.
Sur je sujet de la retraite, Olivier Dussopt, le Ministre du Travail, a indiqué que des décisions devraient être prises avant la fin de l’hiver. Un hiver qui, décidément, risque d’être long.
Sources Les Échos, France Info, Google, Insee 2022.
Remy GIEMZA est spécialiste de la protection sociale (chômage et retraite)
Juriste, il a longtemps été gestionnaire de la conformité des droits au chômage chez Pôle emploi pour les cadres dirigeants. Il est le fondateur de la société PBO Conseil, une entreprise qui aide les salariés et à gérer leur relation avec Pôle emploi (droits au chômage) qui les accompagne dans leur transition (reprise d’activité, création d’entreprise). Il réalise également des audits retraite en ayant pour particularité la prise en compte d’une ou plusieurs périodes de chômage. PBO Conseil compte parmi ses clients des grandes entreprises et des particuliers.
Rémy Giemza est joignable au 06 95 77 70 27.