Rupture conventionnelle : que faire en cas de chantage au licenciement ?
Publié leEst-ce qu’il vaut mieux accepter une rupture conventionnelle ou un licenciement pour une faute grave qui n’a pas été commise ? C’est le dilemme auquel de nombreux salariés sont soumis. Cadre Averti explore les solutions qui s’offrent au salarié.
Exemple de chantage à la faute grave
Monsieur X est appelé par son N+1. Dans le bureau de ce dernier se trouve la DRH qui lui annonce qu’il a été décidé de se séparer de lui et qui lui propose une rupture conventionnelle avec quatre mois de salaire soit le « maximum du barème MACRON » pour ses trois ans d’ancienneté. Monsieur X, stupéfait, refuse.
La DRH lui demande alors de signer une lettre de convocation à entretien préalable à un licenciement avec mise à pied conservatoire immédiate privative de salaire. Monsieur X refuse de signer. La DRH lui annonce qu’elle lui poste la lettre et lui précise qu’il aura toujours la possibilité s’il change d’avis de revenir à la rupture conventionnelle.
Il reçoit la lettre le lendemain. Le surlendemain il reçoit une autre lettre lui notifiant le report de son entretien préalable de 9 jours, soit 9 jours de plus de privation de salaire (sauf à ce qu’il se décide à accepter la rupture conventionnelle).
Avant la rupture conventionnelle un tel chantage n’était pas possible
Il n’existait alors que le licenciement et pour empêcher l’employeur de contraindre le salarié à négocier, la Cour de Cassation considérait qu’une transaction signée avant la notification du licenciement était nulle (Cour de Cassation du 14 juin 2006, n°04-43.123) :
« Une transaction ayant pour objet de prévenir ou terminer une contestation, celle-ci ne peut être valablement conclue par le salarié que lorsqu’il a eu connaissance effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre de licenciement ».
A présent, avec la rupture conventionnelle qui implique une discussion avant sa signature, on pourrait impunément exercer du chantage sur le salarié pour l’obliger à négocier !
Rupture conventionnelle : procédure spécifique pour empêcher le chantage au licenciement
Lors de l’instauration de la rupture conventionnelle en juin 2008, le législateur, conscient des pressions qui pourraient être exercées contre les salariés, a prévu un formalisme strict dans le but, selon l’article L.1237-11 du Code du travail, de « garantir la liberté du consentement des parties » sachant que le même article précise que : « la rupture conventionnelle exclusive du licenciement ou de la démission ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties ».
La procédure que doit respecter l’employeur est calquée sur celle du licenciement, soit selon l’article L.1237-12 du Code du travail « un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister :
- Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un salarié titulaire d'un mandat syndical ou d'un salarié membre d'une institution représentative du personnel ou tout autre salarié ;
- Soit, en l'absence d'institution représentative du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. »
Le formulaire Cerfa signé en cas de rupture conventionnelle oblige les parties à mentionner la date du ou des rendez-vous intervenus préalablement à la rupture et les conditions dans lesquelles elles se sont fait, ou non, assister.
Nullité de la rupture conventionnelle en cas de non-respect de la procédure ?
Contrairement à la procédure de licenciement, l’employeur n’a pas l’obligation de convoquer officiellement le salarié en l’alertant sur sa possibilité de se faire assister. Voilà pourquoi le salarié doit être au courant de ses droits !
La rupture conventionnelle ne sera pas nulle du seul fait de l’absence de convocation officielle.
En revanche, si le salarié démontre que le défaut d’information de son droit à se faire assister lors de l’entretien préalable à la rupture conventionnelle a entrainé un vice de son consentement, la rupture conventionnelle sera annulée (Cour de Cassation du 29 janvier 2014, P2014 actu 376).
Le salarié doit-il exiger le respect de la procédure de rupture conventionnelle ?
C’est son intérêt. En présence d’un témoin, l’employeur devra préciser les motifs pour lesquels il entend se séparer du salarié, motifs qui seront alors « figés » et formuler en conséquence les propositions financières.
Il pourra ainsi faire état d’insuffisance professionnelle ou d’autres manquements et informer le salarié qu’en cas de refus de sa part d’accepter la rupture conventionnelle, il devra procéder au licenciement. Si les griefs invoqués sont fondés, l’intérêt du salarié sera alors d’accepter la rupture conventionnelle. Il pourra prendre sa décision en toute connaissance de cause.
Malheureusement, l’employeur quand il ne respecte pas le formalisme se contente souvent de proposer au salarié une indemnisation financière mais sans lui faire part des motifs de la rupture.
Si le salarié refuse, il s’expose à « l’escalade ». L’employeur déterminé à le faire céder, bâtira alors un dossier à charge contre lui, le plus sévère possible, avec généralement à la clé un licenciement pour faute grave privatif de toutes indemnités.
Peut-on revenir sur une rupture conventionnelle ?
Oui. Le salarié (comme l’employeur) bénéficie d’un délai de rétractation de 15 jours. Ce délai commence à courir le lendemain de la signature de la convention et expire le 15ème jour à minuit.
C’est le jour de l’envoi qui compte, le cachet de la poste faisant foi et non pas la date d’accusé de réception par l’employeur (Cour de Cassation du 14 février 2018, n°17.10-035).
Dans la pratique il arrive que certains employeurs soient tentés d’antidater une rupture conventionnelle afin d’éviter d’attendre les 15 jours de délai de rétractation. Si le salarié arrive à prouver cette manœuvre, il obtiendra l’annulation de la rupture conventionnelle.
Le salarié qui est revenu sur sa décision ne doit pas être sanctionné pour cela par l’entreprise. Bien sûr cette dernière, si elle lui avait proposé la rupture conventionnelle comme alternative à un licenciement reposant sur des motifs fondés, par exemple insuffisance professionnelle, pourra alors enclencher la procédure de licenciement.
En revanche, une faute grave ou lourde n’apparaitra pas crédible, puisque dans un tel cas, il n’y avait aucune raison de proposer une rupture conventionnelle du contrat de travail.
Passé le délai de rétractation peut-on encore revenir sur une rupture conventionnelle ?
Le salarié dispose d’un délai d’un an à compter de l’homologation de la rupture conventionnelle pour en demander la nullité devant le Conseil de Prud’hommes (article 1237-14 du Code du travail) et ce même s’il a touché la contrepartie financière.
La rupture conventionnelle nécessitant l’accord des deux parties est un contrat soumis au droit des contrats. En cas de vice du consentement, soit l’erreur, le dol, la violence ou la lésion, la rupture conventionnelle doit être annulée. La preuve incombe bien entendu au salarié. Une décision récente (Cour d’Appel de Lyon, chambre sociale 21 janvier 2022, n°19-0424) précise qu’en cas de pressions exercées sur un salarié qui l’avaient amené à demander la rupture conventionnelle, cette dernière doit être annulée pour violence viciant le consentement au moment de la signature de l’acte.
Enfin, en cas d’annulation d’une rupture conventionnelle, le salarié n’est pas dans l’obligation de réintégrer l’entreprise. Le Conseil de Prud’hommes requalifie la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur aux indemnités correspondantes.