Quand la démission ou le départ à la retraite peuvent-ils être requalifiés en licenciement abusif ?

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Quand la démission ou le départ à la retraite peuvent-ils être requalifiés en licenciement abusif ?

Dans l'esprit des salariés, celui qui adresse une lettre de démission sans aucune réserve, soit sans faire de reproche à l'employeur, ou celui qui adresse une lettre déclenchant son départ à la retraite ne peut pas, par la suite saisir le Conseil des prud'hommes pour obtenir une requalification de la rupture en licenciement abusif. Faux. Tel qu'il résulte de deux arrêts de la Cour de cassation rendus le même jour, le 14 novembre 2024.

En principe, le salarié qui rompt son contrat de travail en raison du comportement de l'employeur procède à une prise d'acte de rupture de son contrat de travail. 

La prise d'acte de rupture est une lettre recommandée ou remise en mains propres adressée par le salarié à l'employeur.

Le salarié fait valoir qu'en raison des agissements fautifs de l'employeur à son égard, agissements qu'il décrit, il entend rompre son contrat de travail à effet immédiat.

Il précise qu'il saisit le Conseil des prud'hommes pour demander la requalification de sa prise d'acte de rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur est dans l'obligation de laisser partir le salarié et de lui remettre son solde de tout compte, son certificat de travail et son attestation France Travail. 

Si le Conseil des prud'hommes requalifie la prise d'acte de rupture en licenciement abusif, le salarié percevra son indemnité de préavis, son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts en application du barème Macron, soit en fonction de l'ancienneté.

Si le Conseil des prud'hommes donne tort au salarié et requalifie la prise d'acte rupture en démission, le salarié sera condamné à payer à l'employeur le salaire correspondant au préavis qu’il n'aura pas exécuté (trois mois pour les cadres) ainsi qu'éventuellement des dommages-intérêts supplémentaires en réparation du trouble causé par son départ précipité.

La démission motivée permet au salarié d'attaquer l'employeur sans risque sur le plan financier

Le salarié qui entend quitter son entreprise en raison du comportement fautif de l'employeur a intérêt, sauf s'il s'agit d'agissements graves et qui interdisent l'exécution du préavis (par exemple du harcèlement moral ou sexuel) et qui justifient une prise d'acte de rupture à effet immédiat, à recourir à la lettre de démission motivée.

De la même façon que pour la prise d'acte rupture, il impute à l'employeur la responsabilité de cette dernière, il précise les éléments factuels et il indique qu'il entend saisir le Conseil des prud'hommes pour obtenir la requalification de sa démission motivée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois en agissant ainsi, il se comporte de façon irréprochable vis-à-vis de son employeur puisqu'il propose d'effectuer son préavis. Si le Conseil des prud'hommes donne tort au salarié et requalifie la démission motivée en démission, le salarié qui a toujours le droit de démissionner ne pourra être condamné.

En cas de lettre de démission non motivée, peut-il y avoir démission équivoque ?

C’est sur ce point que tranche la Cour de Cassation le 14 novembre 2024 (n°22-23.901 ; 22-23.902 ; 22-23.903 ; 22-23.904 ; 22-23.905).

Cinq ouvriers agricoles avaient quitté leur lieu de travail en reprochant à l'employeur de ne pas leur fournir de travail.

L'un d'entre eux avait de surcroît démissionné par une lettre « non équivoque, puisque ne mentionnant aucune réserve ». La Cour d'appel d'Aix-en-Provence déboutait le salarié de sa demande de requalification de sa démission en licenciement abusif au motif qu'il n'y avait pas eu de vice du consentement. La Cour de Cassation constate que le salarié faisait également valoir « le caractère équivoque » de la démission « à raison de l'existence d'un différend antérieur à celle-ci, portant sur l'absence de fourniture de travail » et elle donne raison au salarié de la façon suivante :

« S’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque (il convient) de l'analyser en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission. »

L'absence de réserve dans la lettre de démission n'est pas un obstacle pour le salarié qui peut obtenir gain de cause s'il justifie qu'il était exposé avant ou au moment de la démission à une mauvaise exécution du contrat de travail du fait de l'employeur.

Le départ à la retraite requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse

C'est une autre décision de la Cour de Cassation du 14 novembre 2024 qui pour la première fois en arrête le principe (14 novembre 2024, n°23-10. 532). Un magasinier, délégué syndical, faisait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er février 2020, en précisant que la raison de son départ était la discrimination dont il faisait l'objet du fait de son implication syndicale.

Le 17 novembre 2020, il saisissait le Conseil des prud'hommes pour demander la requalification en licenciement nul.

Il était débouté, tant par le Conseil des prud'hommes que par la Cour d'appel de Reims.

Cette dernière, tout en reconnaissant que le salarié avait été victime de discrimination - du fait de l'absence d'évolution de sa carrière - lui octroyait une indemnité de 10.000 € en dédommagement.

Elle refusait de requalifier la rupture en licenciement nul au motif que le salarié ne s'était jamais plaint avant la lettre par laquelle il déclenchait son départ à la retraite, et alors que « le calcul de sa retraite monte qu'il avait cotisé 169 trimestres sur les 167 nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein, ce qui explique sa nécessaire fin d'activité. »

Ce n'est pas l'avis de la Cour de cassation :

« en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces constatations que le salarié avait émis plusieurs griefs à l'encontre de l'employeur en octobre 2019, et qu'il avait par la suite motivé son départ à la retraite par ces mêmes griefs, dont des faits de discrimination, ce dont il résultait l'existence d'un différend rendant le départ en retraite équivoque, la Cour d'appel qui devait l'analyser en une prise d'acte et rechercher si les manquements de l'employeur étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, a violé les textes susvisés ».

Il est donc possible désormais, à condition de disposer d'arguments forts, de faire requalifier un départ à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse.



À propos de Cadre Averti

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