Pourquoi y a-t-il de plus en plus de harcèlement moral au travail ?
Publié leA l’heure actuelle, le harcèlement moral est au cœur de la plupart des litiges entre l’employeur et le salarié. Y aurait-il une augmentation statistique de la perversité au travail ?
Bien sûr, les raisons sont autres.
Le harcèlement moral institutionnel
En janvier 2002 le gouvernement « Jospin » fait voter la loi de « modernisation sociale » qui comporte deux volets.
Le premier durcit les conditions du licenciement économique.
Le second, pour empêcher l’employeur qui ne peut pas licencier pour cause économique de contraindre les salariés à partir d’eux-mêmes, intègre dans le code du travail la notion de harcèlement moral avec toute une batterie de sanctions. Il s’agissait d’une vision prémonitoire mais qui n’a pas empêché les grandes entreprises, déterminées à réduire les effectifs non pas en raison de difficultés économiques mais au contraire pour accroitre le profit, à recourir massivement au harcèlement moral démissionnaire (soit le fait de dégrader les conditions de travail d’un salarié pour l’obliger à démissionner).
Par arrêt en date du 5 juin 2018, la Cour de Cassation a sanctionné de façon éclatante cette forme de harcèlement, la qualifiant de « harcèlement moral institutionnel » à l’occasion de l’affaire France Telecom. En réponse aux dirigeants de l’époque qui soutenaient qu’ils ne pouvaient être condamnés pour avoir harcelé moralement des salariés (qui s’étaient suicidés), alors qu’ils ne les connaissaient pas personnellement, la Cour de Cassation affirme que ce sont eux qui ont mis en place les techniques managériales visant à brimer les salariés pour les contraindre à partir d’eux-mêmes, et que de ce fait ce sont eux qui doivent être condamnés pénalement.
On imagine le retentissement d’une telle décision à un moment où les grandes entreprises estiment pouvoir bénéficier, avec la « loi Travail », d’une grande impunité pour se séparer à moindre coût des salariés dont elles ne veulent plus !
Le harcèlement moral, solution pour échapper au plafonnement des indemnités pour licenciement abusif
Depuis septembre 2017, l’une des seules possibilités pour un salarié qui n’a pas d’ancienneté et qui estime avoir un fort préjudice, pour éviter l’application du barème Macron qui limite les indemnités du licenciement abusif en fonction de l’ancienneté (voir barème ci-dessous), est de dénoncer une situation de harcèlement moral.
Ainsi, s’il a été licencié depuis et si le Conseil de Prud’hommes lui donne raison, il obtiendra l’annulation de son licenciement avec des indemnités fixées en fonction de l’importance de son préjudice. Il pourra même obtenir, s’il la réclame, sa réintégration, avec paiement de l’arriéré de salaire échu depuis l’expiration de son contrat de travail et jusqu’au jour de la réintégration, déduction faite des revenus de remplacement (indemnités Pôle Emploi, salaires, honoraires, etc.).
Le harcèlement moral : outil permettant de licencier sans indemnités les managers
Figurent en première ligne les cadres d’un niveau élevé, bien rémunérés, généralement âgés, et qui coûtent encore cher à licencier parce qu’ils ont de l’ancienneté (voir article Loi travail, le sacrifice des quinquas).
Leur compétence et leurs résultats étant généralement inattaquables, la tentation est alors de les accuser faussement de harcèlement moral sur leurs collaborateurs avec la certitude de collecter – après coup – des témoignages à charge de la part de salariés plus ou moins contraints.
L’idée est également que le Conseil de Prud’hommes sera prompt à condamner pour harcèlement des cadres qui, du fait de leur niveau et de leur salaire, apparaissent comme des patrons. Or, la juridiction prud’homale ne sera pas dupe puisque dans les lettres de licenciement de managers soumises à son appréciation, figure, comme une ritournelle, le reproche d’un comportement fautif vis-à-vis des collaborateurs.
On constate donc que ce n’est pas seulement le salarié qui recourt au harcèlement moral. Certains employeurs l’utilisent abondamment, d’abord comme technique managériale visant à dégoûter les salariés pour les obliger à partir d’eux-mêmes (harcèlement moral institutionnel), puis en accusant les managers, lors de leur licenciement, de harcèlement moral sur leurs collaborateurs.