Peine de prison pour les dirigeants coupables de harcèlement moral institutionnel
Publié leLe 21 janvier 2025, la Cour de Cassation a confirmé les peines de prison et d’amendes prononcées à l’encontre des anciens dirigeants de France Telecom devenue Orange, dont les méthodes visant à supprimer 22.000 emplois en 3 ans sans procéder à des licenciements économiques avaient entrainé 19 suicides et 12 tentatives de suicides. Par cet arrêt très circonstancié, la Cour de Cassation reconnait le harcèlement moral institutionnel, soit celui pratiqué par les dirigeants d’une société qui de ce fait peuvent être poursuivis personnellement même s’ils n’ont pas harcelé personnellement.
Qui peut être poursuivi pour harcèlement moral institutionnel ?
Pour s’opposer à leur condamnation, les cadres dirigeants de France Telecom soutenaient que « nul n’est responsable que de sa propre faute » et que dans ces conditions le harcèlement moral institutionnel résultant d’une politique d’entreprise définie collégialement ne pouvait entrainer que la condamnation de l’entreprise elle-même, et non pas celle « des personnes physiques occupant des postes de direction sauf à ce que ces dernières aient commis personnellement les actes de harcèlement sur des salariés déterminés ». Or, les sociétés ne vont pas en prison !
En réponse, la Cour de Cassation reprend à la lettre le texte de l’article 222-33-2 du Code pénal qui incrimine « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte […] ».
Selon la plus haute cour, si les agissements harcelants ont pour objet la dégradation des conditions de travail, le délit est caractérisé, même s’il n’y a pas de lien entre les dirigeants qui ont décidé la mise en place des procédés harcelants et les salariés victimes de ces procédés. Il n’est ainsi pas nécessaire que ces derniers soient identifiés puisque « le terme autrui peut désigner en l’absence de toute autre précision un collectif de salariés non individuellement identifiés ».
Outre les dirigeants eux-mêmes qui ont défini les méthodes harcelantes, peuvent également être poursuivis pour harcèlement moral institutionnel, les collaborateurs qui les ont appliquées. Tel était le cas de la DRH de France Telecom, condamnée pour complicité de harcèlement moral institutionnel alors qu’elle soutenait qu’elle avait juste mis en œuvre les instructions reçues sans se livrer personnellement à des actes de harcèlement sur des salariés identifiés.
Quelle est la différence entre le harcèlement moral institutionnel et le harcèlement moral professionnel
La Cour de Cassation, dans son arrêt du 21 janvier 2025, cite l’avis de la commission nationale consultative des droits de l’Homme du 29 juin 2000 qui identifie « trois formes possibles de harcèlement moral, soit le harcèlement moral individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir, le harcèlement professionnel organisé à l’encontre d’un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement, et le harcèlement institutionnel qui participe d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel ».
Le harcèlement professionnel consiste donc à déstabiliser non pas l’ensemble du personnel d’une entreprise, mais à contourner les règles de licenciement économique quand on entend supprimer un certain nombre de postes au sein d’une équipe ou d’une entité.
Les salariés dont le poste disparait, qui sont donc « précisément désignés » font l’objet de méthodes visant à dégrader leurs conditions de travail pour les dégouter et les fragiliser. Ceux qui ont la chance de trouver un emploi à l’extérieur démissionnent, les autres, devenus malheureux dans l’entreprise, acceptent de partir avec des indemnités réduites, ou tombent malades.
Avec le harcèlement professionnel, l’ordre des critères du licenciement économique collectif sont inversés. L’employeur cible en priorité les salariés fragiles (âgés, malades, etc.) au lieu de les protéger.
Les dirigeants ayant organisé le harcèlement moral professionnel et les collaborateurs qui s’en sont rendus complices peuvent être poursuivis personnellement comme en cas de harcèlement moral institutionnel.
Le manager qui harcèle un collaborateur sur instructions de sa hiérarchie peut-il être poursuivi ?
En cas de harcèlement institutionnel ou professionnel, les instructions visant à appliquer les procédés harcelants sont transmises aux managers directs des salariés dont on entend se séparer. Dans la mesure où la Cour de Cassation instaure la notion de « complicité » du harcèlement institutionnel, le manager qui harcèle individuellement un collaborateur ne peut pas exonérer sa responsabilité au motif qu’il a agi sur ordre de sa hiérarchie.
Y a-t-il beaucoup de harcèlement moral institutionnel à l’heure actuelle ?
A l’heure actuelle il y a beaucoup plus de licenciements et de ruptures conventionnelles et paradoxalement les licenciements pour cause économique ne cessent de chuter tel qu’il résulte du tableau ci-dessous :
Graphique de la DARES publié en 2024 –
évolution du nombre de ruptures conventionnelles, licenciements économiques et
licenciements non économiques entre 2007 et 2024
Alors qu’en 2015 les licenciements économiques représentaient 25% du total des licenciements, en 2024 ils n’en représentent plus que 9.6% sans compter les ruptures conventionnelles. Quand on sait que, particularité française, près des 2/3 des salariés sont licenciés avant 60 ans, on constate que les employeurs utilisent d’autres méthodes que le licenciement pour cause économique pour se séparer des salariés qu’ils estiment être en surnombre. D’où sans doute la sévérité de la Cour de Cassation pour tenter d’éradiquer le harcèlement moral institutionnel qui fait beaucoup de victimes.
Quelle est la juridiction compétente pour juger le harcèlement moral ?
En raison des conséquences très graves qu’il peut entrainer, notamment sur la santé des personnes qui en sont victimes, le harcèlement moral est un délit prévu et réprimé par l’article 222-33-2 du code pénal :
« Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende ».
Le salarié qui s’estime victime de harcèlement moral institutionnel a donc toujours la possibilité de déposer une plainte au pénal.
Dans la mesure où il résulte de l’arrêt France Telecom du 21 janvier 2025, qu’en cas de harcèlement moral institutionnel ce n’est pas seulement l’entreprise qui doit être poursuivie, mais également les personnes physiques qui, au sein d’une même société, ont défini les politiques managériales harcelantes et/ou se sont rendues complices de leur application, les salariés victimes des agissements de harcèlement moral institutionnel peuvent déposer plainte, non pas seulement contre l’entreprise, mais également contre ces personnes et obtenir leur condamnation.
Toutefois, elles doivent être prudentes puisqu’en cas de plainte jugée au final infondée, elles s’exposeraient alors à leur tour à des poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse. Par ailleurs la justice pénale est lente et très encombrée.
Les salariés victimes de harcèlement, ont également la possibilité de saisir le Conseil de Prud’hommes en application des dispositions de l’article L. 1152-1 selon lequel :
« le salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Certes le salarié saisira le Conseil de Prud’hommes en premier lieu à l’encontre de son employeur ou ex-employeur, personne morale, puisqu’il aura vraisemblablement d’autres demandes à formuler que celles en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral individuel, professionnel ou institutionnel.
Notamment, s’il a été licencié et qu’un lien a été établi entre son licenciement et une situation de harcèlement moral qu’il avait précédemment dénoncée, il pourra obtenir la nullité de son licenciement.
Toutefois, il pourra également diriger ses poursuites contre les personnes physiques qui, au sein de l’entreprise, se seront rendues coupables de harcèlement (individuel, professionnel ou institutionnel) à son encontre. Il fera citer ces personnes en même temps que son employeur et demandera à ce qu’elles soient personnellement condamnées à l’indemniser du préjudice résultant du harcèlement subi.
Il faudra cependant que le salarié puisse démontrer avec certitude la réalité des agissements de harcèlement moral, soit des agissements excédant, par leur gravité, l’exercice normal des fonctions du manager poursuivi.