Mise à pied conservatoire abusive : 4 choses à savoir
Publié lePourquoi la procédure de mise à pied conservatoire est utilisée de façon abusive contre les salariés avant leur licenciement ? Alors que c’était auparavant l’exception, il est désormais fréquent que le salarié à qui l’on remet une lettre de convocation à entretien préalable au licenciement soit tenu de quitter immédiatement l’entreprise. Cadre Averti a tenté d’identifier les raisons de cette évolution.
En quoi consiste une mise à pied conservatoire ? Quelle est la procédure ?
La procédure de mise à pied conservatoire n’est pas une sanction mais une mesure de précaution. Le salarié convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave ou lourde est jugé trop dangereux pour rester dans l’entreprise le temps de la procédure disciplinaire. Il lui est donc notifié une mise à pied conservatoire privative de salaire pour l’empêcher de pénétrer dans les locaux de l’entreprise.
Ce n’est que lors de la décision qu’il prendra après l’entretien préalable, soit quasi toujours un licenciement, que l’employeur statuera sur la mise à pied conservatoire.
S’il la maintient, le salarié sera privé de salaire pour la période qui s’est écoulée entre la convocation à l’entretien préalable et la notification du licenciement. Mais l’employeur peut également, même en cas de licenciement pour faute, décider de payer le salaire correspondant à la durée de la mise à pied conservatoire, par exemple si elle s’est éternisée occasionnant un préjudice injustifié au salarié.
En revanche, si l’employeur décide de notifier au salarié, au lieu du licenciement pour faute grave qu’il envisageait, un licenciement pour cause réelle et sérieuse, il sera alors dans l’obligation de payer le salaire correspondant à la mise à pied conservatoire.
1) Mise à pied conservatoire abusive du salarié qui a refusé la rupture conventionnelle
Si le salarié a refusé la rupture conventionnelle proposée par l’employeur, il s’expose à recevoir une lettre de convocation à un entretien préalable au licenciement avec mise à pied conservatoire abusive. En effet, souvent, l’employeur n’a offert de verser au salarié, dans le cadre de la rupture conventionnelle que l’indemnité minimum à laquelle il est tenu, soit le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. Il estime en effet inutile de proposer une indemnité transactionnelle supplémentaire puisqu’il sait que le salarié qui n’a pas une grande ancienneté, et qui ne peut donc obtenir en justice du fait du barème Macron que des indemnités modiques, ne saisira pas le Conseil de Prud’hommes, faute d’enjeu.
Or, en cas de refus du salarié, l’employeur qui procède alors à son licenciement, est tenu de lui verser des indemnités plus importantes que celles dont il lui avait fait part dans le cadre de la rupture conventionnelle. En effet, en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse, le salarié à droit, non pas seulement au montant de l’indemnité légale et conventionnelle, mais également à l’indemnité de préavis (3 mois pour les cadres), soit 2 mois supplémentaires par rapport au délai de la rupture conventionnelle qui est d’un mois (15 jours de délai de rétractation - 15 jours de délai d’homologation).
L’employeur peu scrupuleux adressera alors au salarié une lettre de convocation à entretien préalable au licenciement avec mise à pied conservatoire abusive. Soit le salarié, revenant sur sa position, acceptera la rupture conventionnelle initialement proposée, soit il sera licencié pour faute grave, ne percevant même pas alors l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
2) Mise à pied conservatoire abusive du salarié à qui l’on veut supprimer son ordinateur
La procédure de mise à pied permet de façon abusive de priver le salarié de son ordinateur ou son accès au cloud de l’entreprise. Recevant une lettre de convocation à entretien préalable au licenciement avec mise à pied conservatoire, le salarié tenu de quitter immédiatement l’entreprise sera sommé de restituer auparavant son ordinateur professionnel. Bien entendu, l’employeur peut avoir des motifs légitimes pour agir ainsi, notamment pour empêcher un salarié sans scrupules d’exercer de la concurrence déloyale. Mais, le but recherché est généralement d’empêcher le salarié d’accéder aux documents professionnels qui lui permettraient de se défendre dans le cadre de la contestation de son licenciement, au moment de l’entretien préalable, ou plus tard en justice.
Selon la Cour de Cassation, le salarié a le droit de conserver, dans la mesure où il y a eu naturellement accès dans l’exercice de ses fonctions les documents qui appartiennent à l’employeur mais qui lui sont nécessaires pour assurer sa défense devant le Conseil de Prud’hommes. Il n’y a pas de notion de vol. il ne faut bien sûr pas qu’il y ait d’autre utilisation, par exemple à des fins concurrentielles.
Par ailleurs, la confiscation brutale au salarié de son ordinateur peut permettre à l’employeur en le consultant d’identifier ou de conforter des raisons de le licencier !
Enfin, selon un arrêt de la Cour de Cassation du 22 juin 2022 (n° 18-12.651), le salarié à qui l’on supprime brutalement son ordinateur sans raison valable, et qui de ce fait ne peut récupérer ses données personnelles, peut réclamer devant le Conseil de Prud’hommes des dommages et intérêts spécifiques.
D’une façon générale, le salarié qui pressent un conflit avec son employeur sera avisé de placer en lieu sûr ses données personnelles.
3) La mise à pied conservatoire abusive du salarié qui coûte encore cher à licencier du fait de son ancienneté
Le paradoxe actuel, avec la mise en place du barème Macron, est que plus un salarié est ancien et plus il est exposé à faire l’objet d’une mise à pied conservatoire au moment de la rupture, et ce en raison de la cherté de ses indemnités de licenciement. A savoir tout d’abord son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et, également, les dommages et intérêts judiciaires pour licenciement abusifs, certes plafonnés par le barème Macron, mais qui peuvent être de 20 mois pour un salarié qui a 30 ans d’ancienneté. L’employeur n’entend plus verser de tels montants alors que statistiquement les salariés ont peu d’ancienneté et qu’il obtient de ceux dont il entend se séparer des ruptures conventionnelles portant sur de faibles indemnités.
La tentation est alors grande pour l’employeur peu scrupuleux de se mettre en position de « chantage à la faute grave », soit de menacer le salarié ancien d’un licenciement privatif de toutes indemnités et, pour le mettre en condition, de lui infliger une mise à pied conservatoire. Il obtiendra alors plus facilement de ce dernier une négociation avantageuse pour lui, portant sur des sommes réduites voire inférieures à l’indemnité de préavis et à l’indemnité conventionnelle obligatoirement dues dans le cadre d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
4) La mise à pied conservatoire abusive du manager accusé faussement de harcèlement moral
La procédure de mise à pied conservatoire est également utilisée contre les managers qui sont de plus en plus nombreux à être accusés de harcèlement moral, avec des explications divergentes concernant cette aggravation :
- Pour les employeurs c’est désormais la tolérance zéro aux pratiques déviantes. A la première plainte une enquête est lancée, le manager accusé est écarté via une mise à pied conservatoire pour permettre l’audition, dans le cadre de l’enquête, de tout ou partie de ses collaborateurs auxquels l’anonymat est garanti pour éviter d’éventuelles représailles.
- Pour les salariés accusés de harcèlement, surtout s’ils sont anciens, âgés et chers, il s’agit de manœuvres téléguidées par l’employeur permettant de mettre fin à leur collaboration de façon prématurée sans bourse délier. Les managers accusés de harcèlement, qu’ils le soient à tort ou à raison, quitteront donc physiquement l’entreprise au moment de leur mise à pied conservatoire.
Ne pas confondre la procédure de mise à pied conservatoire avec la dispense d’activité
La différence entre la procédure de mise à pied conservatoire et la dispense d’activité (ou de préavis) porte sur le paiement, ou non, du salaire.
En cas de mise à pied conservatoire le salarié est privé de salaire. La mise à pied conservatoire ne peut donc pas s’éterniser et l’employeur qui la prolonge indûment sera sanctionné.
Si la lettre de convocation à entretien préalable prévoit une dispense d’activité, sachant qu’il est généralement indiqué qu’elle sera rémunérée, même si ce n’est pas une obligation, le salarié touchera son salaire jusqu’à la notification de la décision de l’employeur. Toutefois, il s’agit, comme la mise à pied conservatoire, d’une mesure coercitive. Le salarié qui en fait l’objet a également interdiction de pénétrer dans les locaux de l’entreprise. Celui qui le fait sans accord préalable, notamment pour récupérer des affaires personnelles ou prélever des éléments dans le but d’assurer sa défense à la suite de son licenciement, pourra être sanctionné.
Quelles indemnités pour une mise à pied conservatoire injustifiée ?
La mise à pied conservatoire est une procédure particulièrement violente et déstabilisante pour le salarié expulsé brutalement de l’entreprise souvent sous le regard de ses collègues. Il pourra obtenir, en cas de mise à pied conservatoire injustifiée, une réparation spécifique au titre du contexte vexatoire du licenciement. L’indemnité versée ne se confondra pas avec celle fixée en application du barème Macron en réparation du licenciement abusif, mais s’y ajoutera.
Davantage, le salarié peut obtenir des dommages et intérêts spécifiques pour licenciement vexatoire et, a fortiori, pour une mise à pied conservatoire injustifiée, même pour le cas où son licenciement serait reconnu comme fondé selon un arrêt de la Cour de Cassation du 19 juillet 2000 (n° 98-44 025).