Mentir pour obtenir une rupture conventionnelle : cause de nullité ?

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Mentir pour obtenir une rupture conventionnelle : cause de nullité ?

Pour la première fois, la Cour de cassation annule une rupture conventionnelle au motif que le salarié avait, pour l’obtenir, menti à son employeur. Cette décision risque de changer considérablement la pratique actuelle en matière de rupture conventionnelle. Si le salarié qui la demande, est obligé d’avouer à son employeur qu’un autre emploi l’attend à l’extérieur, il est peu probable que ce dernier accepte.

Pourquoi le salarié qui a trouvé un autre emploi demande-t-il la rupture conventionnelle ?

En principe, le salarié qui sollicite la rupture conventionnelle est celui qui éprouve de la lassitude dans son poste et qui souhaite bénéficier du principal avantage de la rupture conventionnelle : le chômage, lui permettant de rechercher un nouvel emploi, ou de se reconvertir professionnellement. Toutefois, rares sont les salariés qui, ayant un emploi, prennent le risque de l’abandonner pour adopter le statut de chômeur avec des revenus réduits (56,7 % du salaire, moins 30% au bout de 6 mois pour les salariés qui touchent plus de 4850 euros par mois) et une incertitude sur le fait de se repositionner. Les chargés de famille et les « séniors » se montreront particulièrement frileux.

Sachant que c’est généralement l’employeur qui propose la rupture conventionnelle comme alternative au licenciement, les salariés qui la réclament de leur coté, sont ceux qui en principe devraient démissionner puisqu’ayant trouvé un autre emploi. Ils le font pour les raisons suivantes :

1. L’intérêt financier : pourquoi ne pas tenter d’obtenir au moins l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, soit le minimum que l’employeur est tenu de verser au titre de l’indemnité de rupture conventionnelle ?
Bien sûr, le montant dépend de l’ancienneté du salarié et de la convention applicable : un quart de mois par année de présence jusqu’à 10 ans d’ancienneté pour celui qui ne perçoit que l’indemnité légale de licenciement, et 1 mois par an jusqu’à 15 ans pour le journaliste.

2. le délai raccourci de la rupture conventionnelle : 15 jours de délai de rétractation + 15 jours de délai d’homologation = 1 mois, alors que le préavis de démission est, pour un cadre, de 3 mois.

3. Le désir d’une rupture non conflictuelle : L’employeur réagit souvent avec dépit lorsqu’il apprend qu’un collaborateur sur qui il comptait le quitte pour une autre entreprise, avec le lot de brimades qui peuvent en résulter : appréciation du bonus, obligation d’effectuer le préavis jusqu’à son terme, risque de mauvaises références, etc.

4. S’il est lié par une clause de non concurrence alors qu’il a justement trouvé un emploi à la concurrence, le salarié ne peut que tenter la rupture conventionnelle en espérant qu’ignorant ses projets, l’employeur la lui accordera avec en prime, la levée de la clause de non concurrence pour éviter de payer l’indemnité correspondante.
Il est clair toutefois que si le salarié veut obtenir la rupture conventionnelle, il doit cacher à l’employeur qu’il a trouvé un autre emploi. Sinon, la réponse de ce dernier sera de l'inciter à démissionner. Ce que le salarié finira par faire pour respecter la date butoir d’embauche de son nouveau contrat de travail.

Jusqu’à présent le mensonge du salarié ne provoquait pas la nullité de la rupture conventionnelle

C’est ce qui ressortait d’un arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2022 (20-15.909), dans une affaire où l’employeur avait pourtant toutes les raisons de faire valoir qu’il avait été trompé par le salarié et que sans cette tromperie, il ne lui aurait jamais accordé la rupture conventionnelle. Un salarié, en réalité embauché en tant que directeur commercial par une société concurrente, a fait croire à son employeur qu’il envisageait de se reconvertir dans le tourisme nautique.

En réalité, avant même la rupture effective de son contrat de travail, le salarié accomplissait des démarches pour le compte de son nouvel employeur.
Selon larticle 1130 du code civil : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que sans eux l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Toutefois, la Cour de cassation considérerait que même s’il y avait eu dol, La cour d’appel n’avait pas précisé en quoi ce dernier avait été déterminant. C’est donc uniquement à cause d’un défaut de rédaction de l’arrêt d’appel que la Cour de cassation sauve la mise du salarié. Le but était sans doute de ne pas « ouvrir la boîte de Pandore » avec des demandes en cascade d’annulation de rupture conventionnelle par l’employeur.

Pour annuler en juin 2024 une autre rupture conventionnelle, la Cour de Cassation retient « un mensonge par omission »

Le salarié que la Cour de cassation va sanctionner le 19 juin 2024 s’est comporté aussi mal que le précédent. Pour obtenir la rupture conventionnelle, il affirme à son employeur qu’il a l’intention de se reconvertir dans le management et de suivre une formation à cet effet. En cela, il ne ment pas car effectivement, il justifie d’une inscription à un cursus de formation en management pour une durée d’un an. En revanche, il passe sous silence le fait qu’avant même la rupture de son contrat de travail, il a créé une société directement concurrente de celle de son employeur, en recrutant d’anciens salariés de ce dernier. La Cour d’appel de Toulouse annule le 18 décembre 2022 (n°21/02902) la rupture conventionnelle, en vertu de l’article 1137 du code civil :

« le fait un contractant d’obtenir le consentement de l’autre après manœuvre ou des mensonge. constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractant la dissimulation d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »
Cette fois-ci la Cour d’appel caractérise que le mensonge par omission a été déterminant dans la décision de l’employeur d’accorder la rupture conventionnelle :
« Il sera donc considéré que la dissimulation intentionnelle de Monsieur R caractérise un dol de sa part en vue d’obtenir la rupture conventionnelle et ainsi un avantage financier dont il n’aurait pu bénéficier en démissionnant ».

Pour la première fois la Cour de Cassation confirme à son tour l’annulation d’une rupture conventionnelle pour vice du consentement de l’employeur, victime d’un dol de la part du salarié.

Annulation de la rupture conventionnelle au profit de l’employeur : quelles condamnations pour le salarié ?

En cas d’annulation de la rupture conventionnelle le salarié doit restituer l’indemnité de rupture conventionnelle perçue. Ce n’est malheureusement pas tout, puisque tel que résultant de l’arrêt du 19 juin 2024, il doit également payer l’indemnité de préavis de 3 mois que l’employeur aurait été en droit de lui faire accomplir s’il avait remis sa démission.

Comment obtenir réparation de l'employeur lorsqu'on est contraint de démissionner ?

La rupture conventionnelle était un moyen commode, lorsque l’employeur l’acceptait, de percevoir des indemnités de rupture même lorsque l'on avait trouvé un autre emploi. C’est désormais terminé. Même si la Cour de Cassation se prononce sur un cas où le salarié s’est particulièrement mal comporté, le principe est acquis : tout employeur pourra soutenir que s’il avait su que l’employé avait un emploi en attente, il l’aurait contraint à démissionner plutôt que de lui consentir une rupture conventionnelle. Il n’est pas certain que l’employeur gagne à tous les coups, mais quel est le salarié qui prendra le risque de devoir restituer la totalité de l’indemnité de rupture conventionnelle perçue, surtout si celle-ci est tant soit peu importante du fait de l’ancienneté, ainsi que le salaire du préavis non effectué en plus ?
Si le salarié estime avoir été contraint de trouver un autre emploi en raison de la dégradation volontaire de ses conditions de travail (harcèlement moral démissionnaire), il doit alors envisager d’autres modes de rupture.

Démission motivée et prise d’acte de rupture, alternatives à la rupture conventionnelle

Le moyen le plus sûr de d’obtenir satisfaction sans prendre aucun risque sur le plan financier est à l’évidence la démission motivée. Lorsqu’il a signé un nouveau contrat de travail, le salarié adresse sa lettre de démission en dénonçant l’exécution de mauvaise foi par l’employeur de son contrat de travail et notamment, la dégradation de ses conditions de travail pour l’obliger à quitter de lui-même l’entreprise.
Il indique dans sa lettre qu’il entend saisir le Conseil des prud’hommes pour faire requalifier la démission motivée en licenciement abusif. S’il obtient satisfaction il percevra les indemnités du licenciement abusif.

S’il perd, il ne pourra pas être condamné sauf à une faible participation aux frais de justice.
En effet dans sa lettre de démission il aura précisé qu’il est à la disposition de l’employeur pour effectuer son préavis .
Plus risquée est la prise d’acte de rupture de son contrat de travail par le salarié qui indique dans une lettre recommandée adressée à l’employeur, qu’en raison des graves manquements commis par ce dernier a son égard, il quitte la société de façon immédiate et saisit le Conseil des prud’hommes pour faire requalifier sa prise d’acte de rupture en licenciement abusif.
Le danger pour le salarié, si la prise d’acte de rupture est requalifiée en démission à la demande de l’employeur, résulte du fait qu’il n’aura pas accompli son préavis.

Il pourra alors être condamné à payer non seulement l’indemnité de préavis, mais encore des dommages intérêts supplémentaires en raison du préjudice qu’il aura pu causer par sa brusque défection.
S’il n’est pas pris par le temps, le salarié a donc intérêt à recourir à la démission motivée.


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