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Liberté d’expression : peut-on parler des élections présidentielles dans son entreprise ?
Publié leA l’approche des élections présidentielles, la politique se retrouve dans de nombreuses conversations à l’heure des pauses ou à l’issue des réunions sur Zoom pour ceux qui télétravaillent. Mais y a-t-il des limites à ne pas franchir ?
Le principe de la liberté d’expression en France
Contrairement à d’autres pays ou la politique au bureau peut-être interdite, comme aux Etats-Unis dans certains groupes par exemple, en France la liberté d’expression est un droit fondamental permettant à chaque individu d’exprimer ses idées y compris dans son entreprise. En effet, les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen expliquent que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et de « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». La Convention Européenne des Droits de l’Homme rappelle ce principe dans son article 10 au niveau communautaire.
Le salarié jouit aussi de la liberté d'expression dans son entreprise !
« Tu vas vraiment perdre deux heures à te rendre au meeting de … ? ». Le Code du travail garantit la liberté d’expression aux articles :
- L. 2281-3 : « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement »
- L. 1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
- L.1132-1 du code du travail « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte ».
En application de ces articles, un employeur ne pourra jamais insérer de clause générale dans le règlement intérieur de l’entreprise interdisant des discussions religieuses ou politiques (Conseil d’État 25 janvier 1989 n° 64296). Licencier un collaborateur pour « ses opinions politiques » constitue une discrimination sanctionnée par la nullité de l’acte qui permet de demander la réintégration. Un licenciement justifié par une prise de position politique est également considéré comme une atteinte à la liberté d’expression pouvant conduire à 3 ans d’emprisonnement et 45.000€ d’amende pour l’employeur (article 225-2 du code pénal).
Quelles limites à la liberté d’expression d’opinions politiques ?
Difficile de s’abstenir, à la machine à café du bureau, de défendre son candidat préféré auprès des collègues. Si on peut parler politique au travail, il y a néanmoins des limites à ne pas dépasser. Il ne faut pas confondre la machine à café et le réseau social internet (beaucoup plus encadré).
L’entreprise doit rester un terrain assez neutre, il ne s’agit pas de distribuer des tracts à ses clients ou d’arroser ses collègues de courriels pour les encourager à voter pour un candidat ou un autre. La Cour de cassation explique que l'employeur peut apporter des restrictions à cette liberté d'expression si elles sont « justifiées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché » (L.1121-1 Code du travail). En effet, il ne faut pas que cette liberté nuise au bon fonctionnement de l’entreprise, la politique étant un sujet très sensible, et source de tensions. Une clause de neutralité dans l’entreprise peut ainsi interdire aux salariés de parler politiques avec les clients ou fournisseurs de l’entreprise. Si les salariés ne sont pas en contact avec la clientèle on ne peut pas interdire aux salariés de porter des signes distinctifs politiques (Cass. Soc., 22 nov. 2017, n°13-19.855).
Malgré les dispositions du code du travail, il faut souligner qu’il y a toujours des risques à afficher ses préférences au travail. Même si toutes les discussions politiques ne mènent pas à un licenciement ou à une procédure contentieuse, elles peuvent néanmoins conduire à des discriminations sur la durée dont la preuve sera difficile à rapporter.
En définitive, la mesure et la prudence restent de mise !
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