Lettre de licenciement : quand sa rédaction imprudente entraîne la nullité du licenciement pour « motif contaminant »

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Lettre de licenciement : quand sa rédaction imprudente entraîne la nullité du licenciement pour « motif contaminant »

Souvent, en rédigeant la lettre de licenciement l’employeur multiplie les motifs, partant du principe que leur accumulation impressionnera le Conseil de prud’hommes. Or, s’il le fait sans discernement, il risque au contraire de provoquer la nullité du licenciement.

Quels sont les motifs invoqués dans la lettre du licenciement qui peuvent entraîner sa nullité

Il s’agit des propos ou attitudes reprochés au salarié. Or, ce dernier doit toujours pouvoir conserver au travail et dans ses relations avec son employeur sa liberté d’expression, liberté fondamentale garantie par le droit européen. Ce n’est que quand le salarié commet un abus de sa liberté d’expression, par exemple en tenant des propos injurieux, outranciers, de mauvaise foi ou diffamatoires qu’il pourra être sanctionné de ce fait. Ainsi, quand l’employeur formule dans la lettre de licenciement un reproche concernant la liberté d’expression du salarié :

Il s’agit alors d’un motif « contaminant ». De ce seul fait le salarié pourra obtenir la nullité du licenciement sans que les autres motifs ne soient pris en compte, même s’ils sont graves.

Exemples de reproches formulés dans la lettre de licenciement qui peuvent entraîner la nullité de ce dernier

  1. Dénonciation d’une situation de harcèlement moral

Il est souvent affirmé dans la lettre de licenciement que le salarié s’est plaint, à tort, de harcèlement moral puisqu’à la suite de sa dénonciation une enquête interne a été effectuée et le rapport d’enquête a conclu à l’absence de harcèlement moral. Une telle mention dans la lettre de licenciement pourra entraîner la nullité du licenciement. En effet, pour caractériser l’abus de la liberté d’expression, l’employeur doit démontrer que le salarié avait dénoncé une situation de harcèlement de mauvaise foi, ce qui est très difficile à prouver. Même si au final il apparaît que le harcèlement moral n’était pas établi, le salarié a pu s’estimer, de bonne foi, victime de harcèlement moral. Faute de preuve de la mauvaise foi du salarié, le licenciement sera annulé.

  1. Annonce par le salarié de son intention de saisir le Conseil de prud’hommes

Le salarié a toujours le droit, quelles que soient les circonstances, de s’adresser au Conseil de prud’hommes. Il n’y a pas là, de notion de bonne ou de mauvaise foi. Le seul fait pour l’employeur de reprocher au salarié d’avoir saisi ou menacé de saisir le Conseil de prud’hommes entraîne, si le salarié la réclame, la nullité du licenciement pour violation du droit d’ester en justice.

  1. Propos critiques tenus par le salarié lors d’un comité de direction

Le salarié est astreint dans le cadre de son contrat de travail à un devoir de réserve. Il ne doit pas tenir des propos critiques vis-à-vis de sa hiérarchie ou de son employeur, sauf à commettre l’abus de la liberté d’expression. Toutefois, quand un salarié participe à un organe de réflexion ou de décision, tel qu’un comité exécutif ou de direction, on attend de lui, plutôt que d’être toujours de l’avis de la direction, qu’il s’exprime en franchise, quitte à faire valoir une opinion contraire à celle de sa hiérarchie. Si l’employeur lui reproche dans la lettre de licenciement d’avoir adopté une attitude critique ou contestataire dans un tel contexte, il lui faudra prouver que le salarié a commis un abus de sa liberté d’expression.

Une salariée qui évoque lors de son entretien préalable une discrimination pour congé maternité obtient la nullité de son licenciement

Il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 29 janvier 2025 (n° 24/01486). Parmi de multiples motifs, l’employeur reprochait à la salarié aux termes de la lettre de licenciement « Lors de l’entretien préalable [...] selon vous notre décision serait en lien avec votre maternité et présenterait donc un caractère discriminatoire. Cette posture laisse pour le moins songeur. [...] Elle mérite de constituer une ultime preuve de votre manque de discernement, préférant imaginer un motif discriminatoire plutôt que de considérer une dégradation des relations contractuelles bien antérieure à votre grossesse ».

La Cour d’appel constate effectivement que la salariée n’avait pas été victime de discrimination du fait de sa grossesse et lui refuse de ce fait les dommages et intérêts réclamés à ce titre. Pour autant, elle constate que l’employeur ne prouve pas que la salariée a tenu ces propos de mauvaise foi. Elle annule le licenciement « prononcé au moins partiellement au motif de sa dénonciation d’agissements discriminatoires liés à son état de grossesse ». De ce fait, elle prononce la réintégration de la salariée dans l’entreprise.

Pourquoi la présence d’un « motif contaminant » dans la lettre de licenciement empêche d’examiner les autres motifs susceptibles de justifier le licenciement ?

La présence dans la lettre de licenciement d’un grief discriminatoire ou portant sur l’exercice d’une liberté fondamentale doit, en raison de sa gravité, empêcher la rupture du contrat de travail et donc rendre le licenciement nul, même si ce dernier repose sur d’autres griefs qui apparaîtraient fondés. Ainsi, selon un arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2023 (n° 22-17.734) l’annulation du licenciement d’un salarié pour violation de sa liberté d’expression était confirmée, et ce même si ce dernier avait commis une faute grave, à savoir, alors qu’il était chauffeur de car, avoir incité les usagers à la contestation.

Quelles sont les conséquences de l’annulation du licenciement pour « motif contaminant » ?

Le salarié qui obtient l’annulation de son licenciement pour « motif contaminant » pourra demander sa réintégration et obtenir alors son indemnité de réintégration, soit le salaire échu entre le jour de l’expiration de son contrat de travail et le jour de sa réintégration. S’il ne demande pas sa réintégration, il touchera alors des indemnités pour licenciement nul, avec un seuil minimal de 6 mois de salaire et sans plafond maximum (contrairement au barème Macron applicable aux indemnités du licenciement abusif qui prévoit un plafond maximum en fonction de l’ancienneté du salarié).


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