Les lanceurs d’alerte enfin protégés : ce qui a changé depuis le 1er septembre 2022 ?!
Publié leLes lanceurs d’alerte sont de plus en plus connus. Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning… ils ont révélé des secrets d’État ou des malversations dans leurs entreprises, et se sont battus seuls pour faire la lumière sur des scandales... mais tous ne sont pas reconnus et protégés par la justice. En France, la nouvelle loi du 21 mars 2022, mise en application le 1er septembre 2022, devrait enfin permettre aux lanceurs d’alerte de bénéficier d’une réelle protection grâce à de nouvelles mesures ciblées. Cadre averti compare la situation avant et après.
Quelles sont les conséquences du non-respect de la protection du lanceur d'alerte et de la personne mise en cause ?
Comment procède un lanceur d'alerte et pourquoi sa situation est-elle si sensible ? Un ouvrage paru récemment est particulièrement évocateur. Dans « L’Ennemi intérieur », Nicolas FORISSIER (voir notre article Révélations chez UBS : Nicolas Forissier, l’incroyable histoire d’un lanceur d’alerte ), le Directeur en charge de la conformité de la banque UBS, qui a dénoncé les pratiques d’évasion fiscale institutionnalisées de cette dernière, entrainant la condamnation de la banque Suisse à payer la somme à 1,8 milliard d’euros, évoque son parcours du combattant. Licencié immédiatement pour faute grave au motif de « fausses accusations », il a subi pendant plus de 10 ans un lynchage par voie de presse. La société UBS affirmait de son côté que les soucis judiciaires du lanceur d'alerte n’étaient dus qu’à l’esprit de lucre de son ancien salarié, lequel aurait porté de fausses accusations contre elle pour tenter de lui extorquer des indemnités de rupture extrêmement conséquentes. Ce qui se révèlera faux !
Quels sont les risques pour les lanceurs d’alerte ?
Le premier risque que court le lanceur d’alerte est l’accusation de déloyauté dans son entreprise (ou dans son pays). Lorsque le lanceur d’alerte interne met à mal la réputation de son employeur (ou de son pays) via une alerte publique, ce dernier essaie de le déconsidérer en mettant à jour son manque de « bonne foi ». On le voit notamment aux États-Unis où la pratique est développée. Les lanceurs d’alerte peuvent à la fois être condamnés à plusieurs années de prison pour leur complicité dans les agissements frauduleux et, parallèlement, percevoir plusieurs millions de dollars pour avoir dénoncé officiellement lesdits agissements.
Depuis quand le statut de lanceur d'alerte existe en France ?
Les lanceurs d’alerte ont un rôle essentiel dans une démocratie car ils transmettent des informations et sensibilisent la société face à des risques décisifs dans les entreprises ou les administrations. C’est la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016, qui a été le premier texte édictant un statut spécifique pour le lanceur d’alerte. Ce texte exigeait de ce dernier qu’il agisse de « façon désintéressée et de bonne foi ». Toujours selon cette loi, le lanceur d’alerte ne pouvait dénoncer que des faits d’une grande gravité, relevant généralement du domaine pénal, notamment des crimes et délits. Désormais, le caractère de « gravité » n’est plus exigé, l’alerte peut porter sur « une menace ou un préjudice pour l’intérêt général ». Enfin, la loi « Sapin II » indiquait que le lanceur devait avoir « personnellement » connaissance des faits qu’il dénonçait. Désormais, un salarié peut lancer l’alerte alors qu’il a eu connaissance incidemment (notamment par d’autres salariés) des faits fautifs. En revanche, la personne externe à l’entreprise qui lance une alerte devra toujours justifier avoir eu personnellement connaissance des faits fautifs.
Pourquoi les lanceurs d'alerte et ceux qui les aident doivent être mieux protégés ?
La loi Waserman promulguée le 21 mars 2022 renforce la protection des lanceurs d'alerte et à présent, les personnes qui aident et soutiennent un lanceur d’alerte sont également protégées. Le Conseil de l'Europe a défini en 2014 le lanceur d'alerte comme « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu'elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé ». C’est une définition importante car elle intègre par exemple les collègues ou encore les influenceurs qui vont relayer la parole des lanceurs d’alerte. Malheureusement, cette définition n’avait pas été reprise en France. La nouvelle loi étend à l’entourage du lanceur d’alerte la protection instaurée en faveur de ce dernier, reprenant en cela la directive européenne du 23 octobre 2019. Ainsi, comme en matière de harcèlement ou de discrimination, le salarié qui apporte son concours au lanceur d’alerte ne pourra pas être sanctionné, licencié, faire l’objet d’une mesure de discrimination, etc... La protection s’étend même aux personnes morales, syndicats ou associations qui porteraient main forte au lanceur d’alerte qui ne sera donc plus aussi isolé.
Comment peut-on donner l’alerte ? Quelle procédure particulière doit suivre un salarié lanceur d'alerte avant de rendre publique une information ?
A présent, le salarié n’est plus tenu de dénoncer l’alerte en premier lieu à l’employeur et de se jeter ainsi « dans la gueule du loup ». C’est sûrement l’innovation la plus importante du nouveau texte par rapport au précédent puisque le salarié devait obligatoirement dénoncer l’alerte à son employeur et ce n’est que si ce dernier ne bougeait pas qu’il pouvait saisir les autorités judiciaires ou professionnelles. Or, bien sûr, face à des accusations graves et compromettantes, le réflexe de l’employeur réellement coupable n’était pas de rester inactif mais de s’occuper... du salarié : le licencier et détruire sa réputation.
Désormais, le lanceur d’alerte a le choix. S’il estime qu’une dénonciation auprès de son employeur risque de l’exposer à des représailles, il peut d’emblée effectuer un signalement externe, auprès de la justice, du Défenseur des droits ou des « autorités compétentes ». Ces dernières devraient être listées selon un décret à venir, lequel fixera également les délais et les modalités de traitement des alertes (7 jours pour accuser réception du signalement – 3 ou 6 mois pour un retour d’information).
Ce n’est en principe qu’à l’issue du délai fixé que le lanceur d’alerte pourra s’adresser à la presse pour une divulgation publique. Toutefois, de façon inchangée, il pourra d’emblée donner une tournure médiatique à l’alerte :
- En cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général »,
- En cas de risque de représailles.
Par ailleurs, le lanceur d’alerte peut désormais bénéficier pour l’aider dans ses démarches de l’aide du nouvel adjoint du défenseur des droits dont le poste a été créé et défini par la loi du 21 mars 2022.
Depuis le 1er septembre 2022, quels sont les dispositifs de protection des lanceurs d’alerte en France ?
A présent, la protection et l’impunité instaurées au profit des lanceurs d’alerte sont renforcées. Outre les règles de confidentialité visant à protéger le lanceur d’alerte, la loi « Sapin II » dressait une liste de représailles interdites en matière d’embauche, licenciement, rémunération. Le nouveau texte l’étend à « l’intimidation », « l’atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux », « l’inscription sur une liste noire » ou encore la préconisation de soins de santé (traitement psychiatrique !) non justifiés.
De la même façon, l’impunité du lanceur d’alerte est renforcée avec les deux points majeurs suivants :
- Pour le cas où les faits dénoncés s’avèreraient inexacts, il ne peut faire l’objet de poursuites judiciaires, pénales ou civiles que s’il est démontré qu’il a agi, non pas par erreur, mais en toute connaissance de cause, avec mauvaise foi. Ainsi, la victime d’une fausse alerte, quelle que soit l’importance du préjudice entrainé par cette dernière, ne pourra obtenir aucune réparation sauf à faire la preuve de la mauvaise foi du lanceur d’alerte.
- Le lanceur d’alerte peut subtiliser, dans le but d’en conserver la preuve, les documents sur lesquels il fonde sa dénonciation. Il n’y a pas de notion de vol au détriment de l’employeur, dans la mesure où la bonne foi n’est pas remise en cause, et ce même si au final l’alerte apparaît non fondée.
Pourquoi les lanceurs d’alerte exposés méritent une indemnisation ?
Le nouveau texte se préoccupe enfin de l’état généralement désastreux des finances du lanceur d’alerte. Ce dernier est souvent confronté à une double peine : licencié sans indemnité, il doit se contenter des allocations pôle emploi alors que dans le même temps, il doit attaquer en justice son licenciement et se défendre contre des « procédures bâillon », soit par exemple une plainte en dénonciation calomnieuse pour le faire taire.
Désormais, le juge peut allouer en début de procès, ou à tout moment, une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte qui se plaint de représailles ou dont la situation financière est gravement dégradée. Le juge peut décider de donner à ces provisions un caractère définitif, même si le lanceur d’alerte perd au final son procès. Enfin, la loi prévoit qu’en cas d’échec d’une procédure « bâillon » le niveau de l’amende civile qui peut être infligée à l’employeur est portée à 60.000 €.
Alors qu’en France, les lanceurs d’alerte sont particulièrement mal considérés et immédiatement accusés d’être des « traitres à l’entreprise », souhaitons finalement que les nouvelles mesures permettent un vrai changement de mentalité.