L’enquête pour harcèlement moral n’est plus une obligation pour l’employeur
Publié leJusqu’à présent, l’employeur était tenu en cas de dénonciation de harcèlement moral par un salarié, de procéder à une enquête censée être impartiale. Par un revirement spectaculaire de jurisprudence, la Cour de Cassation décide que l’employeur choisit désormais de procéder ou non à une enquête. Cadre Averti analyse cette décision et ses conséquences.
Le harcèlement moral en augmentation constante dans l’entreprise
Le harcèlement moral exercé par des managers sur leurs subordonnés a toujours existé et tient à la perversité humaine.
Toutefois à l’heure actuelle, il n’est question dans les entreprises que de harcèlement moral et la grande majorité des dossiers prud’homaux portent sur des problématiques de harcèlement, avec d’une part les salariés qui s’en sont plaints et d’autre part, de plus en plus nombreux, ceux qui en ont été accusés.
Les managers seraient-il devenus systématiquement pervers ?
La raison de l’augmentation du harcèlement dans l’entreprise : le harcèlement moral « institutionnel » ou « managérial » perpétré par l’employeur lui-même
C’est en janvier 2002 que sont instaurées dans le Code du Travail les dispositions concernant le harcèlement moral (loi de modernisation sociale).
A l’époque, le gouvernement Jospin entendait durcir les conditions du licenciement économique et la crainte était que l’employeur, empêché de licencier, ne recourt au harcèlement managérial, soit la technique consistant à dégrader exprès les conditions de travail (et de santé) des salariés pour les obliger à partir d’eux-mêmes (harcèlement démissionnaire) et ainsi s’en débarrasser.
L’enquête, mesure de protection du salarié se plaignant de harcèlement
Pour protéger le salarié victime de harcèlement, la Cour de Cassation a dans un premier temps imposé à l’employeur de procéder à une enquête chaque fois que le salarié se plaignait de harcèlement.
Ainsi, le 27 novembre 2019 (n°18-10.551), elle condamnait un employeur qui n’avait pas procédé à une enquête pour avoir manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis d’un salarié qui avait dénoncé une situation de harcèlement moral, et ce même s’il s’était avéré par la suite que le harcèlement était inexistant.
Toutefois, à partir de l’année 2020, la protection censée être assurée par l’enquête devient « peau de chagrin ».
L’employeur progressivement libéré de toutes contraintes concernant la façon dont il procède à l’enquête
Selon les décisions rendues au fur et à mesure par la Cour de Cassation :
- L’employeur peut procéder à l’enquête sans être tenu d’informer ou d’associer les partenaires sociaux ;
- Il peut non seulement faire procéder à une enquête externe par un cabinet spécialisé sensé être impartial mais également procéder à une enquête interne, et ce même pour le cas le plus fréquent où le salarié se plaint de harcèlement moral « démissionnaire », c’est-à-dire perpétré par l’employeur. C’est donc la DRH, juge et partie, qui procède à l’enquête ;
- L’employeur choisit les personnes qu’il entend dans le cadre de l’enquête, il n’est pas tenu d’auditionner les témoins proposés par le salarié ;
- Le salarié est privé du respect du contradictoire. Ainsi, il n’a pas le droit de connaître quelles sont les accusations portées contre lui dans le cadre de l’enquête au motif qu’il est indispensable de respecter l’anonymat des personnes auditionnées ;
- Quant au salarié qui, au lieu de se plaindre de harcèlement moral, est, lui, accusé de harcèlement moral, il est totalement privé du respect des droits de la défense puisqu’il n’y a pas d’obligation de le prévenir de l’enquête, et donc de l’entendre dans le cadre de cette dernière, ce toujours au prétexte de la préservation de l’anonymat des personnes auditionnées.
L’employeur a les mains totalement libres concernant le déroulement de cette dernière.
Désormais, en cas de dénonciation de harcèlement moral, c’est l’employeur qui décide ou non de procéder à une enquête
Par son arrêt du 12 juin 2024 (n°23-13.975), la Cour de Cassation se prononce sur le cas d’une salariée directrice des ressources humaines qui se plaignait de harcèlement moral, alors que la société dans laquelle elle travaillait venait de changer de mains et qu’une collègue reprenait ses attributions.
Quelques semaines plus tard, elle était licenciée pour faute grave. Elle faisait alors valoir que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité puisqu’il n’avait procédé à aucune enquête après dénonciation de sa part d’une situation de harcèlement moral.
La Cour de Cassation fait sienne la motivation de la Cour d’Appel selon laquelle :
- « …lorsque la salariée a fait appel au directeur général, auquel elle était hiérarchiquement rattachée directement, au sujet des différends qui l'opposaient à une collègue du même niveau hiérarchique qu'elle, le directeur général a pris position et lorsque la salariée a demandé le 16 août 2019 des éclaircissements sur son positionnement dans la nouvelle organisation avec une nouvelle direction, elle a obtenu le 19 août suivant une réponse du président de la société devenue actionnaire majoritaire de la société. »
En effet, selon la Cour de Cassation, « La Cour d’Appel qui a fait ressortir que l’employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, a pu en déduire, nonobstant l’absence d’enquête interne, que celui-ci n’avait pas manqué à son obligation de sécurité. »
Ainsi, désormais seul fait défaut à son obligation de santé et de sécurité vis-à-vis de ses salariés, l’employeur qui s’abstient de répondre à une dénonciation de harcèlement moral, lequel est, de ce fait, susceptible de perdurer et donc d’affecter la santé du salarié.
En revanche, si l’employeur répond, et quelle que soit sa réponse, il traite le problème et ne peut plus être inquiété.
On constate donc que désormais l’employeur a le choix :
- Soit il répond au salarié sans procéder à l’enquête,
- Soit il décide au contraire de procéder à une enquête.
Quelles conséquences entraine l’absence d’enquête pour le salarié qui se plaint d’être harcelé par l’employeur ?
Le salarié est alors particulièrement démuni. Il est certain que l’employeur, accusé par le salarié de pratiquer du harcèlement moral démissionnaire, c’est-à-dire de dégrader exprès ses conditions de travail pour l’obliger à partir de lui-même, s’empressera de nier et de traiter le salarié de menteur, puisqu’il suffit désormais qu’il adresse une réponse écrite pour satisfaire à son obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés.
Certes le salarié pourra alors saisir le Conseil de Prud’hommes, lequel ne statuera pas avant de nombreux mois, et en attendant, il devra continuer à subir les agissements de harcèlement moral perpétrés par son employeur.
Quand on sait que les salariés victimes de harcèlement moral de la part de l’employeur sont habituellement les salariés anciens et âgés, et notamment les cadres dont la rémunération est coûteuse, on peut penser que la discrimination vis-à-vis des seniors qui est beaucoup plus accentuée en France que dans les autres pays européens, a de beaux jours devant elle.