Le barème Macron condamné par l’Europe : la France va-t-elle s’incliner ?
Publié leLe barème Macron aurait-il pour objectif de favoriser les licenciements abusifs à peu de frais et de bâillonner les salariés et les juges ? C’est en tout cas l’avis du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), totalement inverse à celui de la Cour de Cassation qui a décidé de maintenir le barème le 11 mai dernier.
Une décision très critique sur le barème Macron
Selon le CEDS « les plafonds prévus par l’article L. 1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé. En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas. Le Comité considère donc, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti. Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte ».
Non seulement le barème Macron « néglige le préjudice réel » du licenciement abusif…
Comme l’expliquait Françoise de Saint Sernin pour le site Forbes.fr, le principe est le suivant : Quand les juges constatent qu’un licenciement est abusif, ils ont l’interdiction d’allouer des dommages et intérêts supérieurs à une grille fixée en fonction de l’ancienneté du salarié et ce quelles que soient les circonstances. Jusqu’à dix ans d’ancienneté, le salarié a droit au maximum à environ un mois de salaire par année de présence. Au-delà de dix ans, environ 1/2 mois par année de présence avec un plafond de vingt mois atteint par les salariés totalisant trente ans d’ancienneté. Or, à l’heure actuelle, rares sont ceux qui conservent une grande ancienneté. Un salarié avec une ancienneté inférieure à 2 ans recevra systématiquement une indemnité dérisoire alors que son préjudice moral pourrait être important du fait d’un licenciement vexatoire, le plongeant dans une situation de désarroi psychique et financier. Ce sont les seniors qui, statistiquement, ont changé d’emploi aux alentours de la cinquantaine, avec une carrière qui s’accélère dans le sens de la précarité, qui sont les plus touchés par le barème Macron.
… Mais son but est d’empêcher toute réparation, faute d’intérêt de s’adresser à la justice
C’est ce que dénonce le CEDS qui constate que le préjudice résultant du licenciement abusif « peut ne pas être réparé », (sauf à disposer d’une grande ancienneté, ce qui devient le plus en plus rare). A quel niveau le salarié licencié abusivement décide-t-il de saisir le conseil de Prud’hommes ? Même celui qui a 10 ans d’ancienneté sera réticent au regard du parcours du combattant qui l’attend. Un procès de plusieurs années, qui a été rendu extrêmement compliqué par la loi Macron du 6 août 2015 réformant la procédure prud’homale et qui empêche dorénavant les salariés de se défendre seuls. Plutôt que de prendre et de payer un avocat avec le risque que le licenciement ne soit pas reconnu abusif et alors que l’enjeu est une indemnité cantonnée entre 3 et 10 mois de salaire, le salarié de 10 ans d’ancienneté sera tenté d’accepter la rupture conventionnelle proposée par l’employeur avec les 3 mois de préavis du licenciement convertis en indemnité et un ou deux mois supplémentaires pour faire passer la pilule.
Les salariés licenciés abusivement ne saisissent plus le Conseil de Prud’hommes et il n’existe plus « d’effet dissuasif » de condamnations judiciaires qui feraient hésiter les employeurs à licencier abusivement et qui les inciterait à tout le moins à proposer des transactions. Pourquoi transiger quand avec les plafonds du barème Macron le risque judiciaire est ridicule ?
La confirmation énigmatique du barème Macron par la Cour de Cassation
En se prononçant le 11 mai dernier sur le barème Macron, la Cour de Cassation avait-elle connaissance de la décision du CEDS prononcée le 23 mars 2022, qui n’est pas encore publiée mais dont le contenu a été révélé tout récemment ?
Alors que le CEDS accuse le gouvernement français de « violation de la Charte sociale européenne », la Cour de Cassation affirme par avance que cette décision ne sera pas « d’application directe », en France. Ainsi, tant qu’il n’y aura pas de changement de loi, les salariés ne pourront pas revendiquer la décision européenne devant le Conseil de Prud’hommes.
Pourquoi maintenir le barème Macron alors qu’il viole le droit social européen ?
Grâce au barème Macron, le chômage aurait reculé et la France aurait renoué avec la croissance économique. Il suffisait donc de supprimer la justice sociale ?
Le résultat n’a pas tardé à se faire sentir à l’occasion de la reprise économique consécutive à la pandémie. Il n’est question que de pénurie d’embauche, notamment chez les cadres. Or on n’attire pas les mouches avec du vinaigre et tous les beaux discours sur « l’entreprise à sens » ne feront pas oublier aux candidats à l’embauche que c’est un siège éjectable qui les attend, avec à tout moment et pour n’importe quelle raison, une rupture sans indemnités.
Le temps est révolu où le salarié s’engageait en confiance, certain qu’en cas de licenciement abusif le Conseil de Prud’hommes serait là pour rétablir ses droits.
Alors que l’entreprise n’offre plus aucune garantie, notamment d’évolution de carrière, la seule variable d’ajustement pour embaucher et fidéliser un salarié sera le niveau du salaire qu’il touche dans l’immédiat.
Il y a urgence à harmoniser le droit social français avec le droit social européen
C’est une nécessité sur le plan des principes. Un pays où la justice sociale est paralysée est-il un pays démocratique ? Également sur le plan économique, alors qu’on ne cesse de dénoncer le déficit de productivité du travail en France, instaurer la notion de « salarié kleenex » que l’on jette après usage sans aucun égard, c’est occulter le caractère humain des « ressources humaines ». Or c’est la motivation, l’implication, le dévouement, l’esprit collectif, la créativité qui font la différence en matière de qualité du travail et donc de profitabilité pour l’entreprise.
Le professeur Julien Icard, des universités Paris Panthéon-Assas, qui révèle et commente la décision du comité européen conclut en ces termes : « Tout est donc bien désormais dans les mains du gouvernement français et des parlementaires franchement élus ». A défaut de pouvoir compter sur le premier, que peut-on espérer des seconds ?