Inaptitude du salarié : l’employeur est-il tenu de licencier un salarié pourtant proche de la retraite ?
Publié leLorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait préalablement, l'employeur lui propose un autre emploi en adéquation avec ses capacités. En cas de refus par le salarié inapte du poste de reclassement qui lui est proposé, il appartient à l'employeur de formuler de nouvelles propositions de reclassement, ou de procéder au licenciement pour inaptitude du salarié. Mais que se passe-t-il si l’employeur ne fait rien et se contente de continuer à verser son salaire à un salarié proche de la retraite pour éviter de lui payer son indemnité de licenciement, coûteuse du fait de son ancienneté surtout s'il s'agit d'une inaptitude professionnelle due à un accident du travail ou à une maladie professionnelle avec à ce moment-là le doublement de l'indemnité légale de licenciement ? C’est la question à laquelle la Cour de Cassation a répondu dans une récente décision du 4 novembre 2021 (n° 19-18.908).
Inaptitude : le salarié inapte peut refuser tous les reclassements proposés
En l’espèce, un salarié exerçait des fonctions de rédacteur à temps partiel. A compter du 8 avril 2014, il a été placé en arrêt de travail. Le 26 septembre 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour réclamer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur. Postérieurement, le 3 mars 2016, le médecin du travail a déclaré le salarié « inapte au poste actuel, inapte à tout autre poste dans l'entreprise, apte à un poste assimilé dans un environnement compatible avec sa santé ». L’employeur a présenté au salarié des propositions de reclassement que celui-ci a refusées. Devant le refus injustifié du salarié de ses 5 propositions de reclassement jamais remises en cause par le médecin du travail qui a été destinataire de chacune d'elles, l’employeur avait fait le choix de continuer à verser au salarié son salaire jusqu'à sa retraite, ce qui lui coûtait moins cher que de le licencier pour inaptitude en lui versant alors son indemnité de licenciement.
Le comportement de l’employeur face à l’inaptitude
L’employeur faisait valoir devant les juges qu’il n’était pas tenu de rompre le contrat de travail d'un salarié inapte et donc de procéder au licenciement pour inaptitude du salarié. Il contestait en effet la décision des juges du fond déclarant recevables les demandes du salarié et prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts. Or, la Cour d'appel constatait que l'employeur s'était abstenu, postérieurement à sa dernière proposition de reclassement, d'effectuer de nouvelles recherches de reclassement ou de procéder au licenciement pour inaptitude du salarié au motif de l'impossibilité de reclassement. « Ce comportement consistant à suspendre abusivement le contrat de travail constituait un manquement suffisamment grave justifiant que la résiliation judiciaire du contrat de travail fût prononcée aux torts de l'employeur ».
Résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié inapte
La Cour de Cassation confirme la position de la Cour d’appel. Elle relève que : « l’employeur avait maintenu délibérément le salarié dans une situation d'inactivité forcée au sein de l'entreprise sans aucune évolution possible ». Par conséquent, le fait de laisser le salarié déclaré inapte dans une situation d’inactivité contrainte, faute de procéder à son licenciement, justifie une résiliation judiciaire.
Inaptitude : les conséquences de la résiliation judiciaire
Quand le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la demande du salarié, la rupture prend alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif (Cass. soc. 17 mars 1998, n° 96-41.884). Dans ce cas, les droits du salarié sont les suivants :
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son indemnité de préavis même s’il n’a pas pu l’effectuer (Cass. soc. 13 mai 2015, n° 13-28.792) ;
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son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
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et il a également droit à des dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Ainsi, le salarié avait perçu une indemnité de préavis de 8.010 euros, une indemnité conventionnelle de licenciement de 86.000 euros et des dommages et intérêts pour licenciement abusif de 65.000 euros.
En définitive, si l’employeur avait licencié le salarié pour inaptitude, les droits de ce dernier auraient été beaucoup plus restreints. Il n’aurait reçu que son indemnité conventionnelle de licenciement de 86.000 euros, à l’exclusion de l’indemnité correspondant au préavis que le salarié inapte ne pouvait effectuer et des dommages et intérêts pour licenciement abusif puisque l’employeur qui licencie pour inaptitude ne commet aucune faute. Surtout, il aurait économisé le salaire mensuel versé en vain jusqu’à la décision de résiliation judiciaire. On constate à quel point l’employeur a fait un mauvais calcul en refusant de licencier le salarié pour inaptitude.
Cass. soc. 4 nov. 2021, n° 19-18.908