Harcèlement hiérarchique à la demande de l'employeur : le manager peut-il être licencié ?
Publié lePar harcèlement hiérarchique il faut entendre le harcèlement moral exercé par un supérieur sur ses subordonnés. Selon une jurisprudence constante, le fait pour un cadre de se livrer à un management par le stress à l’égard de ses collaborateurs, accompagné de vexations et de pressions psychologiques (harcèlement moral) relève de la faute grave. Mais que se passe-t-il si les faits de harcèlement sont connus et couverts en amont par la direction qui déciderait de faire volte-face à l’égard dudit manager ?
Le harcèlement hiérarchique constitue une faute grave mais…
Dans une décision récente, la Cour de Cassation (12 juillet 2022 n° 20-22.857) s’est prononcée sur le cas d’un manager qui avait harcelé ses collaborateurs. La lettre de licenciement était accablante : « harcèlement », « dénigrement », « mensonge » et au surplus « une attitude mêlant ambiguïté sexuelle et tyrannie envers les femmes ». Alors que certains des faits reprochés étaient bien établis, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel qui constate, non seulement qu’il n’y avait ni faute grave, mais qu’il n’y avait pas matière à licencier le salarié. En l’espèce, le débat ne portait pas sur la question de savoir si les méthodes managériales étaient constitutives d’un harcèlement moral mais si l’entreprise pouvait, alors qu’elle était elle-même fautive, licencier le manager brutalement et sans indemnités.
Le manager démontrait en justice qu’il avait agi sur ordre de sa hiérarchie : Le salarié établissait « avoir régulièrement partagé ses constats avec sa hiérarchie, conduit en lien étroit avec elle un processus de changement et de réorganisation au sein de la direction dont il avait la charge, avoir agi en concertation avec son supérieur hiérarchique, M. S... et M. I... le directeur des ressources humaines et avoir bénéficié, y compris dans les semaines précédant sa mise à pied, du témoignage de la satisfaction de son employeur au travers de sa rémunération variable ». L’employeur était donc condamné pour licenciement abusif.
L’employeur peut être tenu pour seul responsable !
La Cour de Cassation considère que le comportement du manager était en réalité le résultat d’une position managériale partagée et encouragée par la direction de l’entreprise « le salarié avait agi en concertation avec son supérieur hiérarchique et le directeur des ressources humaines et l’employeur avait d’ailleurs pris fait et cause pour lui en défendant les décisions prises en réponse aux doléances de l’époux de la salariée qui se plaignait de harcèlement ». Or, l’employeur a le devoir juridique de prévenir le harcèlement moral au sein de son organisation. Il doit agir en amont. L'obligation de sécurité de l'employeur implique donc obligatoirement la mise en œuvre d'actions de prévention contre le harcèlement moral. En l’occurrence, l’employeur a manqué à cette obligation.
Alors qu’il aurait dû prendre en considération la plainte d’une salariée faisant état de son épuisement à cause des méthodes managériales de son supérieur, et procéder immédiatement à une enquête, non seulement il ne l’a pas fait, mais quand le mari de la salariée a exprimé des doléances, il a éconduit ce dernier. En l’espèce, « le licenciement (…) n'était pas justifié par une cause réelle et sérieuse dès lors que les méthodes managériales de M. [J] envers la salariée n'auraient été ni inconnues, ni immédiatement réprouvées par l'employeur ».
Les enseignements de la jurisprudence sur le « harcèlement moral institutionnel »
Il convient de faire le lien entre cette affaire, où l’on constate que le manager avait reçu instruction de procéder à un changement d’organisation, et la jurisprudence France Télécom. Le harcèlement moral institutionnel qu’on qualifie aussi parfois de harcèlement managérial ou, dans le langage commun, le harcèlement démissionnaire… correspond à un mode de gestion du personnel affectant la collectivité des salariés ou une partie des salariés. Elle vise à « mobiliser la hiérarchie intermédiaire pour obliger des agents à quitter l’entreprise ». Comme le soulignaient les juges dans l’affaire France Telecom en 2019, cette forme de management prise « à un niveau stratégique et dans le cadre d’un environnement par ailleurs instable et de réorganisations constantes peut être qualifiée d’agissement harcelant ». La direction de l’entreprise ne peut alors se défausser de ses responsabilités sur les cadres intermédiaires qui ne font que mettre en œuvre les objectifs décidés au sommet de la hiérarchie.
En définitive, on constate que, souvent, le harcèlement hiérarchique n’est pas dû à une particulière perversité des managers, mais aux instructions qui leurs sont données de mettre en place de nouvelles organisations avec le bouleversement en résultant pour les salariés sans qu’aucune mesure ne soit prise pour accompagner le changement. Si on constate que les nouvelles mesures entraînent, comme par hasard, des réductions d’effectif, on pourra alors parler de harcèlement institutionnel.
La Cour de Cassation entend rappeler aux employeurs leurs responsabilités en matière de santé. Non seulement les entreprises doivent former leurs managers pour comprendre et prévenir le harcèlement au sein de leurs équipes, mais surtout elles doivent arrêter l’hypocrisie qui consiste à les pousser à la faute !