Géolocalisation, audio / vidéo / ordinateur, quels sont les contrôles permis ?
Publié leComment maintenir l’équilibre entre la protection de la vie personnelle du salarié et la nécessité de pouvoir produire des preuves, même illicites ? C’est ce que fait la Cour de Cassation dont Cadre Averti commente les décisions récentes, en matière de géolocalisation, enregistrements vidéo/audio, ordinateur.
Géolocalisation : le salarié qui refuse la mise en place du système obtient gain de cause.
La Cour de Cassation s’est prononcée le 25 septembre 2024 (n°22-22.851) sur le cas d’un salarié qui réclamait des rappels de salaire à son employeur et qui contestait la mise en place par ce dernier d’un outil de géolocalisation permettant de contrôler avec exactitude la réalité du travail accompli par les salariés. L’outil de géolocalisation avait pourtant été mis en place avec l’accord des représentants du personnel, et porté à la connaissance des salariés.
La Cour d’Appel d’Angers, dans ces conditions, avait débouté le salarié de sa demande de prise d’acte de rupture, l’employeur étant, selon elle, bien fondé à soutenir que le « système de géolocalisation ne portait pas atteinte à la vie privée des salariés dès lors qu’ils sont censés être en activité de travail ».
A tort, selon la Cour de Cassation. La Cour d’Appel aurait du au contraire se préoccuper de l’importance de l’atteinte à la vie privée des salariés qu’impliquait la mise en place d’un système de géolocalisation permettant de contrôler les salariés en permanence et avec à ce moment-là l’obligation de déterminer si la géolocalisation était le seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail, ou s’il existait d’autres moyens.
Or, il existe à l’évidence d’autres moyens, y compris quand le salarié travaille à distance.
Tout d’abord, rien n’empêche d’appeler le salarié alors qu’il est à son travail.
On peut également vérifier son assiduité au travail en consultant les mails et comptes-rendus professionnels qu’il adresse.
Enfin, il peut lui être demandé d’adresser des rapports d’activité périodiques.
De telles mesures, même si elles sont moins performantes que le « flicage total » de la géolocalisation, permettent de contrôler l’activité du salarié en respectant davantage sa vie privée.
Un enregistrement audio / vidéo illicite peut être admis comme preuve.
C’est ce qu’à décidé la Cour de Cassation le 22 décembre 2023, inversant sa jurisprudence. Pour la première fois, elle admettait que l’employeur pouvait produire comme preuve devant le Conseil de Prud’hommes des enregistrements audio du salarié intervenus à l’insu de ce dernier.
Réciproquement, le 10 juillet 2024, la Cour de Cassation (n°23-14.900) admet comme preuve un enregistrement audio intervenu à l’insu de l’employeur produit par une salariée.
La preuve du harcèlement moral résultant d’un enregistrement audio de l’employeur.
Une salariée victime d’un accident du travail avait repris son activité en octobre 2014 en mi-temps thérapeutique et avait été licenciée en juin 2015.
Devant le Conseil de Prud’hommes, elle soutenait que depuis son retour à l’entreprise, elle avait été placardisée, affectée à des tâches purement administratives telles que la numérisation de documents et la vérification de signatures.
Surtout, elle soutenait que si son employeur la traitait ainsi, c’est parce qu’il entendait la dégouter pour l’obliger à partir.
Elle faisait valoir que le harcèlement qu’elle subissait résultait incontournablement d’un enregistrement audio de son employeur lors duquel ce dernier avait tenté de l’obliger à accepter une rupture conventionnelle de son contrat de travail en exerçant des pressions sur elle.
L’employeur obtenait gain de cause devant le Conseil de Prud’hommes et la Cour d’Appel au motif que « cet enregistrement clandestin, contraire, notamment aux principes de la loyauté dans l’administration de la preuve, doit être effectivement écarté des débats. »
La salariée était ainsi déboutée de sa demande au titre du harcèlement moral au motif que les autres éléments qu’elle apportait à l’appui de ce dernier, tel que le refus de formation ou la dégradation de son état de santé, n’étaient pas des éléments suffisamment convaincants.
Il s’agissait là d’une situation choquante puisque la preuve du harcèlement existait, via l’enregistrement audio clandestin.
Dans ces conditions, la Cour de Cassation (10 juillet 2024, n°23-14.900) reproche à la Cour d’Appel le fait de ne pas avoir discerné que la production de l’enregistrement audio illicite était « indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué ».
Cet arrêt devrait avoir un fort retentissement. Nombreux sont en effet les salariés qui se plaignent d’une dégradation de leurs conditions de travail qu’ils ressentent comme étant du harcèlement moral, puisque dans le même temps, ils font l’objet de pressions de leur employeur pour accepter un départ négocié.
Or, dans la mesure où les discussions interviennent verbalement, l’employeur n’entendant pas laisser de traces, le salarié n’avait pas jusqu’alors de possibilité de preuve.
Investigation de l’ordinateur du salarié : distinguer la matière professionnelle et la matière privée
Certes, l’ordinateur professionnel est mis à la disposition du salarié pour qu’il travaille et le fruit de ce travail est censé être la propriété de l’employeur.
Toutefois, le salarié a droit au respect de sa vie privée alors qu’il est au travail, et notamment quand il utilise son ordinateur.
Rares sont les collaborateurs qui se servent d’un ordinateur spécifique pour leur communication privée, ce qui les oblige à se déplacer constamment avec deux appareils distincts. Ils disposent donc généralement d’une messagerie privée sur leur ordinateur professionnel.
Si l’employeur peut accéder à la messagerie professionnelle, il ne peut investiguer la messagerie privée. Il ne peut pas non plus prendre connaissance ou exploiter des messages à l’évidence privés ou portant la mention « privé ».
La Cour de Cassation vient de le rappeler dans un arrêt du 25 septembre 2024 (n°23-11.860) annulant le licenciement d’un salarié survenu au motif qu’il avait adressé, certes en utilisant son ordinateur professionnel, mais sur sa messagerie privée, des blagues sexuelles à 3 collègues masculins.