Droit à la déconnexion en dehors du travail : quelles sont les limites ?
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Le droit à la déconnexion en dehors des heures de travail est devenu un enjeu majeur dans la gestion de la qualité de vie au travail. Le salarié peut-il refuser toute sollicitation de la part de son employeur ou de ses collègues lorsqu’il n’est pas en service, ou existe-t-il des exceptions où il doit répondre ?
Le principe du droit à la déconnexion : une protection légale incontournable
La culture d’entreprise axée sur la disponibilité constante des employés, même en dehors de leurs heures de travail, a longtemps conduit à des abus : burn-out, heures supplémentaires non rémunérées, et non-respect des périodes de repos. Pour répondre à ces dérives, la Loi du 8 août 2016 a introduit le droit à la déconnexion, visant à préserver la vie personnelle et familiale des salariés. L’article 55 de cette loi impose une négociation collective obligatoire sur ce droit dans le cadre de la qualité de vie au travail, afin de garantir le respect des temps de repos et de congés. Néanmoins, aucune sanction n’est prévue pour un employeur qui ne respecte pas cette législation.
Le refus de répondre en dehors des heures de travail : une faute ou un droit ?
Un salarié peut-il être sanctionné pour avoir refusé de répondre à un appel ou à un message en dehors de ses horaires de travail ? La Cour de cassation est claire : sauf disposition spécifique d’une convention collective ou un accord préalable, un salarié ne peut être puni pour avoir choisi de ne pas répondre à son employeur en dehors de ses heures de travail.
Un exemple récent est celui d'un chauffeur routier qui avait refusé de répondre aux appels téléphoniques et aux SMS qui lui avait été adressés par son employeur lors d’un jour de repos, alors que ces appels avaient pour but de lui délivrer sa feuille de route pour le lendemain, en coordination avec les autres chauffeurs. Le chauffeur-routier avait maintenu son refus de répondre aux appels malgré plusieurs avertissements, l’employeur faisant valoir qu'il s'agissait d'une attitude rétive récente, puisque jusqu’alors le salarié avait toujours accepté quand il était au repos, de prendre ses instructions concernant ses trajets pour le lendemain.
Le licenciement pour faute grave du salarié avait été confirmé par la Cour d'appel au motif que « le fait de devoir prendre contact avec l'employeur la veille d'une reprise de service concernant les missions à réaliser n'est pas proscrit par la convention collective applicable au transport routier et n'est pas anormal compte-tenu du secteur d'activité ».
Cet arrêt est cassé (arrêt du 9 octobre 2024, n°23-19.063), au motif que :
- « le fait de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvue de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier une sanction disciplinaire »
Le droit à la déconnexion est-il maintenu si le refus de répondre est susceptible d'entraîner des conséquences graves ?
Le droit à la déconnexion totale est un principe établi.
Un ambulancier avait été licencié pour faute grave au motif qu’il avait « refusé d'assurer son service » et avait de ce fait « mis la vie de personnes en danger et l'avenir de l'entreprise en péril ».
Il lui était reproché d'avoir refusé de répondre aux 3 appels téléphoniques que son employeur lui avait passés sur son téléphone portable personnel.
Pour la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait confirmé le licenciement pour faute grave, « ce comportement irresponsable caractérise la faute grave, l'employeur ne pouvant, sans risque majeur, conserver à son service, même pendant la durée limitée du préavis, un salarié bafouant l’éthique de sa profession ».
Or, par arrêt du 17 février 2004 (n°01-45.889), la Cour de cassation avait considéré « que le fait de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave ».
Exception au droit à la déconnexion : l'astreinte.
Il peut être exigé des salariés qu’ils restent à la disposition de leur employeur, même en dehors des heures de travail. Les salariés sont alors d'astreinte. La période d'astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.
Les périodes d’astreinte sont prévues par un certain nombre de conventions collectives, par exemple :
- la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants, en cas d’intervention en dehors des horaires de travail habituels.
- La convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés pour les agents intervenant en cas de dépannage urgent ou pour assurer des services continus.
- La convention collective nationale des transports routiers, pour les chauffeurs routiers ou les conducteurs afin d’assurer des interventions en dehors des horaires de travail habituels.
- La convention collective de la métallurgie pour les salariés susceptibles d'être appelés à intervenir sur des installations techniques en dehors des horaires normaux.
Même en l'absence de dispositions dans la convention collective, l'employeur peut fixer des périodes d'astreinte à ses salariés. Il faut alors que les plages de temps d’astreinte soient convenues à l'avance et qu’elles donnent lieu à rémunération.
Ainsi, un salarié promu directeur d'agence, s'était vu, comme tous ses collègues directeurs d'agence, imposer l'obligation de rester en permanence disponible à l'aide de son téléphone portable pour répondre à d'éventuels besoins et se tenir prêt à intervenir.
La Cour d'appel de Montpellier, suivie en cela par la Cour de Cassation (12 juillet 2018, n°17-13.029) condamnait l’employeur à payer au directeur d'agence, une somme de 60 000 € sur une durée de deux ans, au motif que la période d’astreinte qui devait être rémunérée s'était étendue sur l'intégralité du temps de repos du salarié.
Il appartient donc à l'employeur de limiter la période d'astreinte, et d’en fixer le montant de la rémunération s’il n’est pas déjà prévu par la convention collective.