Loi contre la discrimination capillaire : quelles conséquences pratiques au travail
Publié leLe projet de loi contre la discrimination capillaire adopté massivement par l’Assemblée nationale le 29 mars 2024 part d’un bon sentiment : permettre aux salariés d’arborer leur chevelure à l’état naturel sans être tenus de recourir à des artifices pour se soumettre aux dictats de la bienséance. Toutefois, le texte prévu protège indistinctement l’apparence naturelle des cheveux et leur apparence choisie, laquelle relève de la liberté d’apparence et d’expression et non pas de la discrimination. La différence est importante tant en ce qui concerne les limites que le mode de preuve.
La discrimination capillaire : un phénomène réel qui entraine des dangers pour la santé
Cette nouvelle loi nous vient des Etats-Unis où elle a été adoptée dans de nombreux états, avec l’exemple de Michelle OBAMA qui, pendant les 7 années de présidence de son mari, a été tenue, en raison de son rôle de représentation, de lisser ses cheveux. Or, les produits utilisés se révèleraient cancérigènes en cas d’usage prolongé.
Parmi les salariés discriminés figurent également les roux pour leur chevelure flamboyante et les chauves pour leur absence de chevelure !
Le rapporteur de la loi, le député Olivier SERVA, évoque également les blondes qui selon une enquête effectuée en Grande-Bretagne en 2019 se teindraient les cheveux en brun quand elles se porteraient candidates à des emplois intellectuels d’un niveau supérieur.
Discrimination capillaire : un vingt-septième motif de discrimination au travail ?
Il n’est pas question de rajouter un motif supplémentaire au texte qui s’applique à l’heure actuelle, tant dans le code pénal (article 225-1) que dans le code du travail (article L.1132-1) mais d’étendre le critère de la discrimination en raison de l’apparence physique à la chevelure.
Rappelons les 26 motifs de discrimination existants :
Origine ; sexe ; meurs ; orientation sexuelle ; identité de genre ; âge ; situation de famille ou grossesse ; caractéristiques génétiques ; particulière vulnérabilité résultant de la situation économique apparente ou connue de son auteur ; appartenance ou non appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race ; activités syndicales ou mutualistes ; convictions religieuses ; apparence physique ; nom de famille ; lieu de résidence ou de domiciliation bancaire ; état de santé ; perte d’autonomie ; handicap.
Selon le nouveau texte, il est prévu de compléter le critère de l’apparence physique de la façon suivante :
“ de son apparence physique, notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux”.
Le texte prévu ne fait pas la différence entre “l’apparence innée” et “l’apparence choisie”
Il faut permettre à une personne qui a les cheveux frisés ou crépus de les porter tels quels, ne pas obliger un roux à se teindre, ni un chauve à porter une perruque. Toutefois, la définition de la discrimination capillaire doit se limiter à l’apparence naturelle de la chevelure sans ouvrir la porte à toutes les excentricités en matière capillaire.
Ainsi, si la discrimination s’étend à la couleur des cheveux, sans autre précision, toutes les fantaisies, rouge vif, vert fluo, arc-en-ciel, seront permises. Idem pour la longueur, impossibilité pour l’employeur de s’opposer aux cheveux lisses tombant tel l’homme de Cro-Magnon jusqu’au bas du dos, et aux cheveux frisés auréolant sans limite le visage. Quant à la coupe, tout serait permis, de l’iroquoise à la frange cachant les yeux.
La preuve en matière de liberté d’apparence qui relève de la liberté d’expression
Il s’agit là non pas de l’apparence “innée” mais de l’apparence “choisie” pour laquelle la liberté du salarié ne constitue pas une liberté fondamentale et n’est donc pas sans limite. Ainsi, l’employeur peut-il imposer un code vestimentaire et même un accessoire sur les cheveux du moment qu’il agit de façon “proportionnée” pour le bien de l’entreprise.
Tant que la loi sur la discrimination capillaire n’est pas promulguée, l’employeur pourra sanctionner un salarié au titre de l’abus de la liberté d’apparence et d’expression, pour avoir arboré une coiffure volontairement provocatrice, contraire aux codes sociaux de l’entreprise, et créant un préjudice d’image à cette dernière (surtout s’il exerce des fonctions de représentation).
En matière de preuve, c’est exclusivement au salarié qu’il appartiendra de démontrer la violation par l’employeur, de sa liberté d’apparence ou d’expression.
La preuve en matière de discrimination et donc de discrimination capillaire
Si la loi est promulguée selon le texte actuel il n’existera alors plus aucune entrave à la liberté de se coiffer du salarié, que ce soit en matière de texture, de couleur, de coupe et de longueur (sauf pour des motifs d’hygiène et de sécurité dans certains emplois spécifiques).
Le salarié qui estimera qu’il a été discriminé capillairement devra alors, dans le cadre du partage de la charge de la preuve en matière de discrimination, produire des éléments démontrant qu’il a fait l’objet d’un traitement différencié, par exemple en matière “de recrutement, de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’appréciation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat ” (article L.1232-1 du Code du travail).
Si le salarié prouve qu’il a été désavantagé dans l’une des circonstances ci-dessus visées, c’est alors à l’employeur d’apporter la preuve que la différence de traitement subie par le salarié est due à d’autres causes qu’à la discrimination capillaire, par exemple le fait que le salarié était en compétition avec des collègues plus brillants ou méritants que lui, ou que son évolution de carrière était freinée par ses limites sur le plan professionnel.
Le risque est donc, du fait de l’amalgame fait par la nouvelle loi entre “l’apparence innée” et “l’apparence choisie” que l’employeur non seulement soit tenu de supporter sans broncher les excentricités capillaires les plus provocatrices de la part de certains salariés mais que de surcroit il soit tenu de veiller constamment à ne pas donner prétexte à ces derniers de se plaindre de leurs conditions de travail, sauf à risquer les lourdes condamnations de la discrimination. Ainsi l’article 225-2 du Code pénal punit la discrimination, et donc si elle est votée la discrimination capillaire, de 3 ans de prison et de 45.000 € d’amende.