Congé paternité : nullité du licenciement pendant la période de protection
Publié leFace à la chute de leur taux de natalité, les pays européens mettent en œuvre une politique sociale consistant notamment à instaurer un congé paternité pour les pères, ainsi qu’une protection contre le licenciement. La France, jusque-là relativement épargnée, subit un fort décrochage pour 2023 avec 1,68 enfant par femme. Dans ce contexte, Cadre Averti commente un arrêt de la Cour de Cassation du 27 septembre 2023, annulant le licenciement d’un jeune père pendant la période de protection et permettant à ce dernier de réclamer sa réintégration.
Le taux de natalité français, jusqu’à présent l’un des meilleurs de l’Union Européenne chute tel qu’illustré par un graphique de STATISTA
En 2023, on enregistre une baisse des naissances de 6,6% par rapport à 2022, la différence entre les naissances et les décès s’approche de 0 et la France, jusque-là championne, grâce à la politique familiale mise en place par le Général de Gaulle, sera cette année distancée par d’autres pays européens.
Pour lutter contre la dénatalité, mise en place dans les pays européens d’un congé paternité
Le congé paternité est variable d’un pays à l’autre. Certains pays, plus affectés par la chute démographique sont « avant-gardistes » telle l’Espagne avec un congé paternité de 16 semaines, ou mieux encore, la Finlande, dont le congé paternité s’aligne sur celui de maternité, proche de 7 mois.
D’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, également très touchés par le reflux démographique, ont préféré recourir, plutôt qu’à un congé paternité, à un congé parental pour le père, partiellement rémunéré.
En dehors de l’Europe, les pays victimes de dénatalité se mettent, eux aussi, au congé paternité, tel celui de 10 jours en Chine. C’est la Corée du Sud, qui détient le record de la baisse de natalité avec 0,73 enfant par femme, qui prend des mesures drastiques : le congé paternité est limité à 10 jours, mais chaque parent a droit à un an de congé parental, rémunéré à hauteur de 80% du salaire pendant les 3 premiers mois et 50% pour les 9 mois restant.
Congé paternité : dispositions applicables en France
En juillet 2021, le congé paternité qui était jusqu’alors de 10 jours, a été étendu à 25 jours s’ajoutant au congé de naissance de 3 jours, soit 28 jours en tout. Son régime est le suivant :
- 4 jours obligatoires suivant les 3 jours du congés de naissance,
- 21 jours facultatifs qui peuvent suivre le congé de 4 jours initial ou être pris en une ou deux périodes distinctes, chacune comportant au moins 5 jours, ce dans les 6 mois suivant la naissance. Le salarié informe l’employeur un mois auparavant de la date prévisionnelle de la naissance, ou de la durée de chaque période de congé. L’employeur ne peut modifier les dates choisies par le salarié.
C’est la sécurité sociale qui prend en charge le paiement du congé paternité, ce au salaire réel du jeune père, limité cependant à 100€/ jour pour 2024. Le paiement du surplus peut résulter du contrat de prévoyance ou être assumé directement par l’employeur.
Autre précision, le congé paternité est pris par le père ou par le dernier compagnon de la mère, ce à la condition qu’existe un pacs ou une situation de concubinage officielle. En cas de parents du même sexe, la seconde mère a droit au congé paternité, ce qui n’est pas le cas du deuxième père, tel que le déplore le défenseur des droits qui constate une discrimination dans une décision du 9 octobre 2020.
Congé paternité : un congé facultatif
Seuls les 4 jours de congé paternité qui suivent le congé de 3 jours de naissance s’imposent à l’employeur, qui doit obliger le jeune père à les prendre. Les 21 jours supplémentaires fractionnables en 2 périodes distinctes sont laissés à l’initiative du salarié. Il peut y renoncer et ce de façon définitive s’il ne les a pas pris dans la période de 6 mois qui suit la naissance. Le fait que le coût des congés repose sur la sécurité sociale et non sur l’employeur est de nature à ôter ses scrupules au salarié. Toutefois, ce ne sera qu’avec l’habitude et le temps que les hommes prendront le plein du congé paternité fixé par le code du travail. Les dernières statistiques font état d’un taux de prise de congé paternité de 71% mais il s’agissait de l’année 2021, alors que c’est seulement en juillet 2021 que le congé paternité est passé de 10 jours à 25 jours (+ 3 jours de congé de naissance).
La protection du père contre le licenciement
Depuis 2016 et selon l’article L. 1225-4 du Code du travail : « aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les « 10 » semaines suivant la naissance de son enfant. Toutefois l’employeur peut rompre le contrat de travail s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant ».
On constate que la durée de la protection excède le congé paternité puisque de deux mois et demi au lieu d’un mois.
Toutefois, l’employeur peut, pendant le délai de 10 semaines, préparer le licenciement et donc convoquer le père à un entretien préalable, ce qu’il ne peut pas faire pour la mère. Par ailleurs, la question qui se posait était de savoir s’il pouvait, alors que la faute grave n’était pas caractérisée, licencier le salarié pour des motifs personnels, telle que l’insuffisance professionnelle.
Un père peut-il être valablement licencié pour insuffisance professionnelle pendant la période de protection ?
Le cas sur lequel se prononce la Cour de Cassation (27 septembre 2023, n°21/22.937) est celui d’un cadre commercial licencié pendant la période de protection, le 26 avril 2018, pour insuffisance professionnelle et manquement à son obligation de loyauté avec dispense d’exécution de son préavis.
La Cour de Cassation confirme la nullité du licenciement au motif que la lettre de licenciement n’indiquait pas quelles étaient les raisons qui rendaient impossible le maintien du contrat de travail pendant la période de protection. Elle précise à cet égard, que les arguments présentés par l’employeur devant la juridiction prud’homale étaient inopérants « puisque les griefs énoncés dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas l’impossibilité de maintenir le contrat de travail ». Effectivement, la lettre était totalement silencieuse sur ce point. La question se pose donc toujours de savoir si la Cour d’Appel aurait dû, en cas de lettre de licenciement se prononçant sur l’impossibilité du maintien du contrat de travail pendant la période de protection, accepter d’examiner les motifs du licenciement pour insuffisance professionnelle comme le réclamait l’employeur, ou si elle aurait dû refuser au motif que, comme la mère, le père ne pouvait pas être licencié pour des motifs personnels (hors faute grave) pendant la période de protection.
L’intérêt de la question est cependant limité. Seul l’employeur maladroit peut se laisser prendre au piège de la nullité du licenciement puisque compte tenu de la brièveté de la période de protection, celui qui entend se séparer immédiatement du salarié sans prendre le risque d’un licenciement pour faute grave, peut notifier dans un premier temps une dispense de poste, et retarder le licenciement pour insuffisance professionnelle à la fin du délai de 10 semaines, avec dispense du préavis.
En revanche, à l’occasion de son arrêt du 27 septembre 2023, la Cour de Cassation se prononce sur un autre point de droit impactant les conséquences financières de l’annulation du licenciement.
Nullité du licenciement pendant la période de protection : le salarié peut-il réclamer à n’importe quel moment la réintégration ?
Le cadre commercial demandait de son côté à ce que sa demande de réintégration en cas d’annulation du licenciement, qu’il n’avait sollicité que devant la Cour d’Appel, et qui avait été refoulée par cette dernière au motif qu’il s’agissait d’une demande « nouvelle », soit accueillie. En effet, les conséquences de l’annulation du licenciement, selon que le salarié choisit de demander ou non sa réintégration peuvent être très différentes :
- s’il demande sa réintégration, l’employeur doit alors lui payer « l’indemnité d’éviction » qui correspond au salaire qu’il aurait touché entre le jour de l’expiration du contrat de travail et celui de la réintégration. Comme c’est généralement la Cour d’Appel, juridiction de second degré qui prononce la décision exécutoire, il s’agit généralement de plusieurs années de salaire, déduction faite, cependant, des revenus substitutifs (indemnité chômage, nouveaux salaires) pour certains cas de nullité, dont le harcèlement moral.
- Si le salarié renonce à la réintégration, il perçoit alors des dommages et intérêts pour licenciement nul, dont le minimum est de 6 mois de salaire, et le maximum laissé à l’appréciation des juges, contrairement au barème Macron qui plafonne les dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Or, le cadre commercial avait sollicité devant le Conseil de Prud’hommes des dommages et intérêts pour licenciement nul, pour changer d’avis, et réclamer la réintégration devant la Cour d’Appel. La Cour de Cassation lui donne raison, car les deux demandes sont toutes deux « la conséquence de la demande de nullité du licenciement ». Le salarié peut donc substituer l’une à l’autre en cours de la procédure, y compris pour la première fois devant la Cour d’Appel, sans qu’il y ait « demande nouvelle ».
Au final, l’employeur est lourdement sanctionné, mais il avait fait preuve, non seulement de maladresse, mais également de mauvaise foi, affirmant qu’il n’avait pas été averti, malgré l’évidence, de la naissance.
La Cour de Cassation renforce ainsi la protection du jeune père contre le licenciement.