Changement ou modification de poste, quand le salarié peut-il refuser ?
Publié leLe salarié est-il tenu d'accepter un changement/modification de poste en raison 1) d'un motif économique, 2) de fautes commises par lui ou 3) d'une insuffisance professionnelle ?
Par un arrêt récent, la Cour de cassation donne un éclairage particulièrement instructif.
Le salarié dont le poste est supprimé/modifié ne peut pas être sanctionné pour refus d'un nouveau poste.
La Cour de cassation tranche le 22 janvier 2025 n°22-23.468 sur le cas d'un salarié dont le poste était supprimé du fait de la délocalisation de son service dans des pays africains.
L'employeur qui tenait éventuellement à le garder, lui avait proposé en remplacement un grand nombre de postes, notamment des postes de même niveau, qu'il avait tous systématiquement refusés.
Au final, le salarié était licencié pour cause réelle et sérieuse, au motif que « le refus par le salarié des postes qui lui avaient été proposés caractérise une situation intolérable et inacceptable. »
La Cour d'appel de Versailles donnait le 29 septembre 2022 raison à l'employeur, constatant que ce dernier avait externalisé ses activités commerciales et avant-ventes dans un certain nombre de pays d'Afrique, y compris l'Afrique du Nord, afin de réduire ses coûts de fonctionnement, et ce « dans le souci de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. »
Toutefois, selon la Cour de cassation :
- Un salarié ne peut pas être licencié pour cause réelle et sérieuse pour avoir refusé un nouveau poste si ce dernier lui est proposé pour des motifs non inhérents à sa personne, soit dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise.
- La seule possibilité pour l'employeur est alors de licencier le salarié récalcitrant pour cause économique, et à ce moment-là de justifier de la cause économique dans la lettre de licenciement.
Or, l’employeur ayant licencié pour cause réelle et sérieuse et non pas pour cause économique, n’avait donc pas indiqué dans la lettre de licenciement en quoi la « réorganisation résultait de difficultés économiques ou de mutations technologiques ou qu’elle était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise », soit la définition de la cause économique. Le licenciement était donc abusif.
Comment l’employeur peut-il justifier le licenciement d’un salarié qui refuse un poste alors qu’il a perdu le sien ?
- Au vu de cette nouvelle jurisprudence, l'employeur, s’il veut licencier un salarié qui a refusé un nouveau poste alors que le sien a été supprimé/modifié, devra tout d'abord procéder à un licenciement économique, ce que beaucoup d'employeurs se refusent à faire pour éviter les contraintes et la mauvaise image de ce type de licenciement.
Il devra ensuite démontrer que le nouveau poste proposé n'impliquait pas de modification d'un élément essentiel du contrat de travail, tel que par exemple, une baisse de rémunération.
Dans l'arrêt du 25 janvier 2025, l'employeur soutenait que les postes proposés étaient de même niveau, sans indiquer qu'ils étaient désormais basés dans des pays étrangers, avec donc une modification essentielle du contrat de travail. - Par ailleurs, dans la mesure où il licencie pour cause économique, l'employeur doit justifier de la réalité de la cause économique invoquée.
A cet égard, la Cour d'appel avait admis le critère de la sauvegarde de compétitivité, de la façon suivante :
« Dans le souci de sauvegarder la compétitivité dans l'entreprise, la maison-mère a ainsi souhaité se réorganiser en externalisant ses activités commerciales et avant-vente dans un certain nombre de pays d'Afrique, y compris l'Afrique du Nord, afin de réduire ses coûts de fonctionnement ».
Si l'on devait adopter une telle motivation, il s'agirait alors d'un « blanc-seing », permettant à toutes les entreprises désireuses de délocaliser pour des raisons d’optimisation du profit de passer à l'acte en se contentant d'invoquer « le souci de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ».
En tout état de cause, cette motivation ne figurait pas dans la lettre de licenciement du salarié qui avait refusé le nouveau poste, puisque ce dernier était licencié non pas pour cause économique mais pour « cause réelle et sérieuse ».
Changement ou modification de son poste en raison d’une faute commise par le salarié, est-ce possible ?
L’employeur peut effectivement imposer au salarié une rétrogradation, soit dans le cadre de la modification de son poste, soit dans le cadre d’un nouveau proposé en raison de fautes commises par le salarié.
La rétrogradation étant une sanction prévue par le Code du travail, l’employeur doit alors respecter la procédure disciplinaire, soit la même que pour le licenciement qui est également une sanction.
Il doit donc convoquer le salarié à un entretien préalable en vue de lui infliger une éventuelle sanction, ce dernier ayant la possibilité de se faire assister lors de cet entretien par un salarié de l'entreprise ou également par un conseiller d'extérieur s'il n'existe pas de représentants du personnel au sein de l'entreprise.
Après avoir indiqué au salarié lors de cet entretien les raisons pour lesquelles il envisage une sanction à son égard, il doit observer un délai de réflexion de 48 heures avant de faire connaître sa décision.
S’il a décidé d'infliger au salarié une rétrogradation, il lui précise les modalités de cette dernière et notamment l'éventuelle réduction de salaire.
Si le salarié refuse la rétrogradation, il est alors licencié pour faute et peut alors contester son licenciement devant le Conseil des prud'hommes.
Changement ou modification de poste pour insuffisance professionnelle, est-ce possible ?
Là encore, l’employeur peut être amené, quand il constate qu’un salarié est insuffisant à son niveau de poste, à lui mettre en mains le marché suivant :
- soit il accepte un poste généralement d'un niveau et d’une rémunération inférieure, plus adapté à ses compétences ;
- soit il fait l'objet d'un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Ainsi, par un arrêt du 16 janvier 1985 (pourvoi n°82-42. 221), la Cour de Cassation avait constaté que le refus par le salarié d'une mutation justifiée par son insuffisance professionnelle constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement.
De la même façon, plus récemment, le 25 septembre 2024 (n°23-20.450), elle affirme que la rétrogradation infligée à une salariée du fait de son insuffisance professionnelle, ne pouvait pas être qualifiée de sanction disciplinaire (à ce moment-là fautive, puisqu’il n'y avait pas eu de procédure disciplinaire) mais ce en constatant que la salariée avait d’elle-même, consciente de ses carences, accepté de reprendre son ancien poste.
Le salarié à qui on impose une modification essentielle de son contrat de travail au motif de sa soi-disant insuffisance professionnelle, et qui est tenté d'accepter pour éviter son licenciement, doit être prudent.
Il sera facile pour l'employeur, sachant que le salarié a reconnu de lui-même son insuffisance professionnelle puisqu'il a accepté d'être rétrogradé, de le licencier quelque temps après au motif qu’il ne donne toujours pas satisfaction dans son nouveau poste, et à ce moment-là en lui versant des indemnités de licenciement calculées sur son nouveau salaire revu à la baisse.
Surtout, on voit surgir à l’heure actuelle des propositions de reclassement faites au salarié, au motif de sa soi-disant insuffisance professionnelle, alors que le poste de ce dernier est supprimé/modifié dans le cadre d'une réorganisation.
Si le salarié accepte par peur de perdre son emploi, son risque est d'être licencié pour insuffisance professionnelle peu après avec des indemnités de licenciement basées sur sa nouvelle rémunération réduite. S’il refuse le nouveau poste, cela permettra alors à l'employeur de le licencier pour insuffisance professionnelle, et donc de se dispenser ainsi de procéder à un licenciement économique, comme le veut l’arrêt du 22 janvier 2025. Si le salarié dénonce la manœuvre devant le Conseil de Prud’hommes il obtiendra des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.