Quand un cadre dirigeant a-t-il droit aux heures supplémentaires ?
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Si le cadre dirigeant n’a pas, selon la loi, droit aux heures supplémentaires, encore faut-il qu’il soit réellement cadre dirigeant ! La Cour de Cassation vient de durcir la notion de cadre dirigeant, permettant à de nombreux cadres qui ne relèvent pas de cette catégorie de réclamer des heures supplémentaires.
Les trois critères légaux définissant le « cadre dirigeant »
L’article L 3111-2 du Code du travail après avoir indiqué que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions concernant la durée du travail (soit les 35 heures) donne la définition du cadre dirigeant :
« Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »
L’employeur doit prouver, en cas de contestation par le salarié de son statut de cadre dirigeant, que les trois critères s’appliquent cumulativement.
Si le cadre démontre que l’une des conditions n’est pas respectée, il pourra alors réclamer les heures supplémentaires.
Le critère de la participation à la direction de l’entreprise à nouveau imposé par la Cour de Cassation
Il s’agit là d’un critère jurisprudentiel qui avait été imposé par la Cour de Cassation à partir de l’année 2012. L’employeur qui voulait s’opposer à une demande d’heures supplémentaires de la part d’un cadre « dirigeant » devait non seulement montrer que les trois critères légaux étaient remplis, mais que de surcroit le cadre participait à la direction de l’entreprise.
Or, le 22 juin 2016 (n°14-29.246) la Cour de Cassation revenait sur cette exigence dans les termes suivants : « si les trois critères fixés par l’article L. 3111-2 du Code du travail impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l’entreprise, il n’en résulte pas que la participation à la direction de l’entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux. »
Elle précise qu’il appartenait à la Cour d’Appel « d’examiner la situation de la salariée au regard des trois critères légaux » au lieu de prendre en compte « la participation à la direction de l’entreprise ».
Par un revirement de jurisprudence, la Cour de Cassation exige à nouveau que l’employeur qui s’oppose à une demande d’heures supplémentaires formulée par un soi-disant cadre dirigeant, apporte la preuve que ce dernier participait effectivement à la direction de l’entreprise.
Un directeur de magasin ne peut être un cadre dirigeant
Par une première décision (14 novembre 2024, n° 23-20.793) la Cour de Cassation se prononçait sur la demande de paiement d’heures supplémentaires formulée par le directeur d’un magasin BUT, demande qui avait été rejetée par la Cour d’appel au motif que les trois exigences du code du travail :
- grande indépendance dans l’organisation du temps de travail,
- prise de décisions de façon largement autonome,
- et niveau de rémunération le plus élevé de l’établissement que constituait le magasin,
étaient réunies.
Par ailleurs, selon la Cour d’appel, la participation à la direction de l’entreprise devait s’apprécier au niveau de l’établissement et donc du magasin et non pas au niveau de l’entreprise : « L’établissement distinct que constituait le magasin se caractérisait par une autonomie de gestion du responsable de l’établissement ».
Or, la Cour de cassation statue en sens contraire de façon cinglante : « En se déterminant ainsi, sans rechercher si dans l’exercice de ses fonctions de Directeur d’un établissement le salarié participait à la direction de l’entreprise, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
Cet arrêt devrait avoir un certain retentissement. De nombreux collaborateurs embauchés en tant que directeurs d’établissement, d’usine ou de magasin, sont incités à signer des contrats de travail les définissant comme des cadres dirigeants avec le risque, si leur situation n’est pas modifiée, que ces derniers ne réclament le paiement des heures supplémentaires lors de la rupture de contrat de travail.
L’employeur doit caractériser la participation du salarié à la direction de l’entreprise.
Selon une autre décision du 14 novembre 2024 (n° 23-16.188), la Cour de Cassation se prononce sur la demande de paiement d’heures supplémentaires effectuées par un cadre soi-disant dirigeant d’AIRBUS qui avait été débouté par la Cour d’appel de Toulouse, laquelle avait constaté « que le salarié ne conteste pas que dans les faits il bénéficiait bien d’une liberté d’organiser son emploi du temps et d’une autonomie de décisions, d’autre part, qu’au vu des pièces produites, il faisait partie des salariés percevant les niveaux de rémunération les plus élevés ». La Cour d’appel en déduisait donc que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant.
Ce n’est pas l’avis de la Cour de Cassation qui, au regard de la nature du poste occupé par le cadre, à savoir « responsable central qualité des chaines d’assemblage », constate que l’employeur ne démontrait pas en quoi le salarié participait à la direction de l’entreprise.
Les grandes entreprises qui appliquent très largement le statut de cadre dirigeant à un grand nombre de collaborateurs, généralement en raison du niveau élevé de la rémunération, devront désormais prouver que le salarié, du fait ses fonctions, a un rôle effectif dans la direction de l’entreprise.
Le salarié qui conteste sa qualité de cadre dirigeant peut-il provoquer la rupture de son contrat de travail pour cette raison ?
Le salarié qui estime ne pas être cadre dirigeant et qui accomplit de nombreuses heures supplémentaires est privé du paiement de ces dernières. Le 15 janvier 2025 (n° 23-16.286) la Cour de Cassation s’est prononcée sur le cas d’un salarié qui avait adressé une lettre de démission faisant expressément référence au fait que lui était due une somme de 8.000 € au titre des heures supplémentaires.
La Cour d’appel, tout en reconnaissant que les heures supplémentaires étaient dues, avait cependant refusé de requalifier la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que cette dernière était « suffisamment claire et non équivoque ». Or, selon la Cour de Cassation, dès lors que le salarié invoque des manquements dans sa lettre de démission et que ces manquements étaient établis, la question se posait de savoir « si le manquement tiré du défaut de paiement des heures supplémentaires était de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ».
Cette jurisprudence peut être transposée aux salariés qui démissionnent en contestant leur qualité de cadre de dirigeant, et se plaignant donc d’être privés du paiement des heures supplémentaires. Il appartiendra donc à la juridiction saisie de décider au cas par cas s’il s’agit d’un manquement suffisamment grave pour entraîner la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec, à ce moment-là, le paiement non pas seulement des heures supplémentaires mais de l’ensemble des indemnités dues dans le cadre d’un licenciement abusif.