Blagues sexuelles depuis l’ordinateur professionnel, est-ce un motif de licenciement ?

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Blagues sexuelles depuis l’ordinateur professionnel, est-ce un motif de licenciement ?

Le salarié peut-il adresser des messages privés à partir de son ordinateur professionnel sans risque d’être sanctionné en raison du contenu desdits messages ? La Cour de Cassation annule le licenciement d’un salarié qui avait adressé une blague sexuelle « douteuse » à trois de ses collègues en utilisant son ordinateur professionnel.

Le salarié a le droit d’avoir une vie privée même sur le lieu de travail.

Notamment, le salarié a droit à sa liberté d’expression, qui est une liberté fondamentale. S’il est licencié pour des propos qu’il a tenus et si les propos ne caractérisent pas l’abus de la liberté d’expression, le licenciement sera annulé pour violation de la liberté d’expression et ce sans qu’il soit nécessaire pour le juge de se prononcer sur les autres motifs du licenciement.

De même, le salarié a le droit d’utiliser son ordinateur professionnel pour adresser des messages privés, ces derniers étant alors protégés par le secret des correspondances. Toutefois, les propos proférés verbalement et par écrit ne doivent pas être « excessifs, diffamatoires ou injurieux ». 

Peut-on se livrer à des blagues à caractère sexuel au travail ?

La Cour de Cassation se prononce le 25 septembre 2024 (n°23-11.860) sur le cas d’un salarié, cadre de haut niveau, qui avait adressé à trois collègues masculins des commentaires à caractère sexuel et notamment tel que cité par la Cour d’Appel de Versailles :

  • « un mail transféré le 10 juin 2011 dont l’objet est une contravention pour excès de vitesse… accompagné d’une photographie sur laquelle on voit une jeune femme vêtue, conduisant un véhicule et tenant de la main droite le sexe de son passager, lui-même entièrement vêtu, avec une partie de son sexe sorti de son pantalon. »

Blague sexuelle ou blague sexiste ?  

Pour l’employeur, il y avait abus de la liberté d’expression « puisque la photo du radar comme le calendrier (le salarié avait également diffusé un extrait du calendrier Pirelli) véhiculaient une image stéréotypée, dégradante et attentatoire à la dignité de la femme ».

Or, la Cour de Cassation a confirmé l’arrêt d’appel, notamment en ce qu’il précisait que « l’interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du salarié ».

Elle constatait que ces mails avaient un caractère privé, n’étaient pas diffamatoires ni injurieux, ne ciblaient aucune personne et qu’ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel.

Conséquences de la violation de la liberté d’expression : annulation du licenciement 

La liberté d’expression relève de l’intimité de la vie privée, liberté fondamentale, et sa violation entraine à elle-seule la nullité du licenciement.

Ainsi, alors que le salarié avait été licencié pour de multiples fautes graves (vraies ou fictives ?) - fausses factures, concurrence déloyale, fraude concernant les frais professionnels, le seul fait par l’employeur d’avoir mentionné « la violation à nos règles internes et notamment à notre charte relative au harcèlement sexuel qui prohibe strictement les blagues à caractère sexuel » caractérise un « motif contaminant ».

Le licenciement est annulé sans tenir compte des autres motifs.

Le salarié qui pouvait réclamer sa réintégration s’est contenté de solliciter des dommages et intérêts pour licenciement nul et a obtenu à ce titre une somme de 210 000€ en sus des indemnités légales et conventionnelles dont il avait été privé du fait de son licenciement pour faute grave.

En cas d’atteinte à la vie personnelle, y a-t-il également nullité du licenciement ?

L’atteinte à la vie personnelle est moins grave que l’atteinte à la vie privée, liberté fondamentale.

Également le 25 septembre 2024, la Cour de Cassation rend une autre décision (n°22/20.672) pour illustrer la différence entre la vie privée et la vie personnelle.

Il s’agit d’un conducteur de bus qui, après son travail, subit un contrôle de police routier alors qu’à bord de son véhicule se trouvait un sac contenant de l’herbe de cannabis. Une enquête pénale intervenait à l’issue de laquelle le salarié n’était pas poursuivi.

Toutefois, les enquêteurs avaient fait état des poursuites auprès de la RATP, qui s’était empressée de licencier le salarié pour faute grave au motif que la prise de drogues était incompatible avec … « l’obligation de sécurité et de résultat de la RATP, tant à l’égard de ses salariés que des voyageurs qu’elle transporte ».

Au final, la Cour de Cassation constate que le salarié n’avait pas commis de manquement, son obligation sur le plan de la sécurité consistant juste à ne pas absorber de cannabis avant ou pendant le transport des passagers et qu’il y avait donc eu atteinte à sa vie personnelle.

Toutefois, faisant la distinction avec la vie privée, au lieu d’annuler le licenciement, elle le déclarait uniquement abusif.

Le salarié ne percevait donc que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, encadrés par le barème Macron.

Qu’est-ce qui distingue la vie privée de la vie personnelle ?

La vie privée concerne tout à ce qui a trait à l’intimité d’une personne, soit :

  • La santé,
  • La vie sentimentale et familiale,
  • Les correspondances privées (mails, lettres),
  • Les données personnelles (adresse, numéro de téléphone),
  • L’orientation sexuelle, les croyances religieuses ou politiques,
  • Les informations financières.

La vie personnelle a trait à des comportements ou à des choix qui font partie des droits individuels (choix de se livrer à certaines activités, s’impliquer dans certains engagements) qui n’ont pas de caractère confidentiel et peuvent être connus de tous.

On constate toutefois à l’occasion des deux arrêts de la Cour de Cassation du 25 septembre 2024 que la différence est difficile à appréhender.

Ainsi, le salarié licencié pour « blague sexuelle » obtient-il la nullité du licenciement en raison de la violation de l’intimité de sa vie privée, alors que le chauffeur de bus ne peut prétendre qu’à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que la consommation de cannabis à laquelle il se livre après sa journée de travail n’aurait pas de caractère intime et ne relèverait donc que de sa vie personnelle ?


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