Annulation du licenciement pour violation de la liberté d’expression : la sanction peut être très lourde

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Annulation du licenciement pour violation de la liberté d’expression : la sanction peut être très lourde

De plus en plus nombreux sont les salariés licenciés pour des propos considérés comme « non politiquement corrects » par leur employeur. Heureusement, la Cour de Cassation veille et par un nouvel arrêt du 23 octobre 2024, sanctionne très lourdement un employeur pour « violation de la liberté d’expression » d’une salariée.

Un simple GIF peut entrainer un licenciement pour faute grave 

Comme cela a été relayé par la presse, c’est ce qui est arrivé à Loan LETON, un jeune collaborateur de 23 ans qui, apprenant que les salaires au sein de l’entreprise seraient versés avec quelques jours de retard, adresse à ses collègues présents à la même réunion que lui un GIF du père de famille des Simpson disparaissant dans un buisson, avec la légende « les RH, les jours de paie ».

Cette facétie n’a pas été du goût de son employeur qui lui a infligé un licenciement pour faute grave et ce malgré les explications de Loan : « J’ai fait ça pour détendre l’atmosphère. Je voulais juste calmer le jeu alors qu’en fin de mois, à cause de ce retard, j’ai dû faire le choix entre mettre de l’essence ou remplir le frigo ». Que décidera le Conseil de Prud’hommes ? L’employeur de Loan a de quoi être inquiet puisqu’il risque, s’il perd, d’être lourdement condamné tel qu’il résulte d’une récente décision de la Cour de Cassation (23 octobre 2024, n°23-16.479)

Une comptable licenciée pour avoir révélé la rémunération de ses collègues

Les faits sont les suivants : une comptable réclame le paiement d’un 13ème mois et d’une prime, ce qui est refusé par sa patronne. Comme elle est bien placée, compte tenu de ses fonctions pour savoir ce que gagnent ses collègues, elle argumente alors par un courriel.

Le motif de sa lettre de licenciement pour faute grave est le suivant :

  • « Afin de parvenir à vos fins, vous avez adopté un comportement parfaitement indélicat et déloyal en prenant l’initiative de divulguer à l’appui d’un courriel contenant vos revendications, adressé le 15 décembre 2018 à l’attention de Madame « IZ », des données personnelles et confidentielles ayant trait à la rémunération de certains de vos collègues de travail et prédécesseurs, que vous avez reproduites dans un tableau récapitulatif figurant en annexe de votre mail. Or, dans le cadre de l’exécution de votre contrat de travail, vous êtes tenue à une obligation de loyauté ; à ce titre vous ne deviez en aucun cas divulguer des informations confidentielles dont vous avez eu connaissance dans l’exercice de vos fonctions ».

L’employeur est condamné pour violation de la liberté d’expression

La Cour d’Appel de Paris, le 6 avril 2023 (n°21/04665) constate :

  • Que certes la salariée qui voulait prouver que certains collègues touchaient un 13ème mois et une prime, contrairement à elle, a établi un tableau comparatif de la rémunération de ces derniers à laquelle elle avait accès du fait de ses fonctions et l’a joint à son courriel de réclamation.
  • Toutefois, elle n’a adressé ce tableau qu’à sa patronne, présidente de la fédération qui l’employait et qui avait donc connaissance des éléments ;
  • Elle affirmait que c’est sa patronne qui lui avait demandé d’établir ce tableau, ce que cette dernière niait, mais avec alors un doute qui devait profiter à la salariée.

La salariée, n’ayant pas commis de faute concernant la révélation des salaires de ses collègues, il restait à savoir si elle avait commis un abus de sa liberté d’expression à l’occasion de sa revendication salariale.

Or, selon la Cour d’Appel :

  • « En interpellant l’employeur dans son mail du 15 décembre 2018 en la personne de sa supérieure hiérarchique, « Madame Z », pour lui exprimer son désaccord sur le montant de sa prime exceptionnelle, le montant de son salaire et revendiquer un 13ème mois, d’usage dans l’entreprise, dans des termes fermes mais demeurant courtois, « Madame G » n’a fait qu’user de sa liberté d’expression dont l’abus n’est pas établi. Le licenciement n’est donc pas caractérisé par une cause réelle et sérieuse de sorte qu’il constitue en réalité, comme le soutient la salariée, une mesure de rétorsion à son courriel du 15 décembre et caractérise une violation de la liberté d’expression de la salariée ».

La conséquence de la violation de la liberté d’expression du salarié : annulation du licenciement

Normalement, quand un licenciement n’est pas fondé, le Conseil de Prud’hommes constate qu’il est sans cause réelle et sérieuse et alloue alors au salarié des dommages et intérêts pour licenciement abusif fixés en fonction du barème Macron, et donc en fonction de l’ancienneté.

Ainsi, dans la mesure où la salariée concernée, Madame « G », embauchée en juin 2018 et licenciée en janvier 2019, n’avait que 6 mois d’ancienneté, elle n’aurait pas pu obtenir des dommages et intérêts supérieurs à 1 mois de salaire.

Toutefois, la liberté d’expression étant une liberté fondamentale, sa violation doit entrainer l’annulation du licenciement. Le salarié peut alors réclamer des dommages et intérêts pour licenciement nul, lesquels ne pourront pas être inférieurs à 6 mois de salaire. Mais il peut également réclamer sa réintégration dans l’entreprise.

Conséquences de la réintégration : paiement de l’indemnité de réintégration

Si le salarié réclame sa réintégration, ce qu’il peut faire même s’il a entretemps occupé un autre emploi ailleurs, il doit alors percevoir le salaire échu depuis le jour de l’expiration de son contrat de travail à la suite de son licenciement jusqu’au jour de sa réintégration à la suite de l’annulation de son licenciement.

On constate donc que plus la procédure prud’homale a duré longtemps et plus l’indemnité de réintégration sera conséquente. En principe, il y a lieu de déduire de l’indemnité de réintégration les revenus substitutifs perçus entretemps par le salarié, tels que les allocations chômage, nouveaux salaires, etc. C’est par exemple le cas quand un licenciement a été annulé pour harcèlement moral ou discrimination pour âge.

En cas d’annulation du licenciement pour violation de la liberté d’expression, il n’y a pas lieu de déduire les revenus substitutifs de l’indemnité de réintégration

C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Paris « la nullité du licenciement ayant été prononcée pour violation d’un droit ou d’une liberté ayant une valeur constitutionnelle, les revenus perçus par la salariée pendant la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration ne peuvent être déduits contrairement à ce que sollicite l’employeur ».

La Cour de Cassation, saisie par un pourvoi de l’employeur, confirme à son tour qu’en cas d’annulation du licenciement pour violation de la liberté d’expression :

  • « le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période ».

 

 


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