Age de la retraite en France : pourquoi la réforme est injuste ?
Publié leEn France les salariés ne quittent pas leur travail pour prendre leur retraite. La grande majorité d’entre eux est déjà au chômage, ou pire, dans le « halo autour du chômage », c’est-à-dire en fin de droits. Repousser l’âge de la retraite à 63, 64, 65 ans conduit à prolonger d’autant la période pendant laquelle le futur retraité est privé de tous revenus.
Comment connaître son âge de départ à la retraite ?
Hormis des cas spécifiques (longue carrière, etc..), il y a alors à l’heure actuelle trois âges distincts pour prendre sa retraite :
- 62 ans : c’est l’âge auquel le salarié peut partir en retraite, soit à taux plein, soit à taux partiel. La retraite à taux plein suppose qu’il ait cotisé le nombre de trimestre nécessaires. Ce nombre de trimestres validés oscille entre 165 et 172. En annuités, il faudra donc compter un nombre situé entre 41 et 43 pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein. La retraite à taux partiel impliquera une forte réduction des indemnités de retraite. Le salarié en poste ne la prendra pas, de même que celui qui est au chômage et qui sera indemnisé par Pole Emploi, tout en continuant à cotiser à la retraite jusqu’à ce qu’il soit retraitable à taux plein.
- 67 ans : c’est l’âge auquel le salarié peut prendre sa retraite à taux plein, même s’il n’a pas cotisé le nombre de trimestres nécessaires.
- 70 ans : c’est l’âge auquel l’employeur peut mettre le salarié d’office en retraite. S’il veut le faire avant, il lui faudra d’une part avoir l’accord du salarié et par ailleurs recourir à une procédure compliquée qui consiste à interroger le salarié sur ses intentions, 3 mois avant que ce dernier ne fête ses 57 ans, 58 ans puis 59 ans.
D’une façon générale, l’employeur qui entend se séparer d’un salarié avant 70 ans, ne peut recourir qu’au licenciement. S’il propose la rupture conventionnelle de son contrat de travail à un salarié de plus de 62 ans, il l’expose à devoir payer les charges sociales et l’impôt sur le revenu sur la totalité des sommes perçues.
Pourquoi les séniors sont dispensés de recherche d'emploi ?
A partir de l'âge de 60 ans, les demandeurs d’emplois sont soumis à une obligation de disponibilité adaptée. Cela signifie qu’ils bénéficient automatiquement de la dispense de rechercher activement un emploi. Alors qu’on évoque l’allongement de la durée de cotisation, la trajectoire des seniors sur le marché du travail est marquée par de multiples obstacles. Comme le remarque Christopher Pissarides de la London School of Economics, prix Nobel d’économie : En France, « les plus de 50 ans ne sont généralement pas le groupe à cibler pour la majorité des employeurs ». Les chiffres à cet égard sont éloquents » (voir tableau). Au deuxième trimestre 2021, seuls 55 % des 55-64 ans travaillaient en France, « le taux d'emploi est resté inférieur de plus de 18 points à celui de l'Allemagne, du Danemark, de la Finlande en 2019 », relevait l'OCDE en décembre 2021.
Source OCDE - Taux d'emploi par groupe d'âge - 55-64 ans, % dans le même groupe d'âge, T4 2021
Emploi des séniors, à qui la faute ? L’état, le salarié ou l’employeur ?
L’état est historiquement responsable avec la politique qui a consisté dans les années 1980 à systématiser les plans de préretraite au motif que le travail étant une denrée rare il fallait limiter le nombre de travailleurs.
Il n’était pas rare qu’un salarié de 52 ans parte en préretraite avec une assurance de quasi-maintien de ses revenus jusqu’à sa mort.
Ce temps est aujourd’hui révolu. Le salarié a changé de mentalité et notamment pour une raison financière. Les quinquas sont la génération pivot. Comme nous l’exposions dans un précédent article (Non emploi et paupérisation des séniors : le fléau franco-français), c’est sur eux que repose la cohésion familiale et sociale puisqu’ils assument tout en même temps, la charge des parents âgés, les études des enfants, les remboursements d’emprunt immobilier. Ils quittent prématurément la vie professionnelle à une période où ils n’ont pas pu mettre encore un sou de côté.
Au fur et à mesure que les années passent, le décrochage du niveau d’indemnité retraite par rapport au salaire d’activité s’accentue. Désormais il s’agit souvent de moins de la moitié. Le salarié souhaite à présent, ne serait-ce que pour des raisons de revenus, se maintenir en activité et cotiser à la retraite le plus longtemps possible.
L’employeur, c’est là le grand « hic » ! L’employeur est extrêmement réticent à maintenir en poste des salariés âgés. Certes il faut distinguer les PME qui n’auront pas l’idée de se séparer d’un salarié compétent et profitable en raison de son âge, et les grands groupes avec leur problématique de gestion de la pyramide des âges et de réduction des coûts, et un postulat : un cadre âgé n’est plus rentable.
Pourquoi le « halo » autour du chômage s’est envolé ?
Les chiffres sont là : le chômage baisse mais le halo autour du chômage augmente. La différence sont les salariés qui sont inscrits à Pôle Emploi parce qu’ils n’ont pas d’emploi mais qui ne remplissent pas les conditions pour toucher les indemnités chômage. Le halo autour du chômage est constitué d'inactifs n'étant pas au chômage au sens du Bureau international du travail mais étant dans une situation qui s'en approche. Le « halo » autour du chômage a fortement progressé entre 2015 et 2021 comme le remarquent les sites « Les clés du social » ou « ifrap ».
Le lien doit être fait avec le barème MACRON qui permet désormais à l’employeur de se séparer des salariés âgés sans bourse délier soit tout le contraire de ce qui se passait avant 2017 quand les juges prenaient en considération pour évaluer le préjudice du licenciement abusif l’impossibilité ou la grande difficulté à retrouver un autre emploi.
A présent, alors que les quinquas ont statistiquement à cet âge-là quitté leur groupe d’origine et perdu leur ancienneté, ils ne coûtent plus rien à licencier (Loi Travail : le sacrifice des quinquas !). Ils ne saisiront pas la justice pour obtenir en cas de licenciement abusif une indemnité qui ne pourra pas excéder environ un mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans (et un demi mois pour les années au-delà de 10 ans avec un plafond à 20 mois).
De ce fait, ils ne pourront pas provoquer le paiement d’une indemnité transactionnelle, aussi chiche soit-elle !
Voilà comment les salariés âgés, remerciés de façon anticipée vont grossir les effectifs du « halo autour du chômage » après être passés par la case Pôle Emploi qui ne leur assure au mieux que 3 ans de prise en charge.
Quelles solutions pour régler le problème des retraites en France ?
Peut-on envisager de prolonger la situation de totale disette des salariés en fin de droit chômage pendant 1, 2, 3 années supplémentaires en raison d’une retraite repoussée à 63, 64 ou 65 ans ? Non. La Cour des comptes alerte depuis plusieurs années sur les risques de pauvreté des seniors exclus de l'emploi. Dans un référé adressé au Premier ministre, la Cour des comptes déplorait dès 2019 que « les politiques en faveur de l’emploi des seniors ont été délaissées au cours des dernières années par les pouvoirs publics et le service public de l’emploi ». Le service de statistiques du ministère a aussi montré que le report de l'âge légal de départ de 60 à 62 ans entraîne déjà « un surplus d'environ 80.000 allocataires âgés de 60 et 61 ans au titre du RSA socle (revenu de solidarité active), de l'AAH (allocation aux adultes handicapés) et de l'ASS (allocation de solidarité spécifique), pour un surcoût estimé à environ 600 millions d'euros par an ».
Peut-on forcer les entreprises à conserver des salariés âgés devenus obsolètes et inutilement coûteux dont elles ne veulent plus ? Ce n’est pas à coup de sanctions que l’on provoquera un changement de mentalité et de pratique chez les employeurs. La contribution DELALANDE qui, dans les années 90, instaurait une taxe pour tout licenciement d’un salarié âgé, a été contre-productive.
Face à l’aggravation de la paupérisation, il est essentiel de prendre les bonnes mesures à l’instar de la Finlande où l’âge légal minimum de départ en retraite est de 65 ans. Il était crucial pour la Finlande, pays confronté à un vieillissement rapide de sa population, de garder actifs les seniors, tant sur le plan physique que social. Plutôt que de dispenser des formations spécifiques aux salariés de plus de 50 ans, l’accent a été mis sur la formation tout au long de la vie professionnelle. Le résultat a été spectaculaire avec un taux d’emploi des 55-64 ans qui est passé de 35 % dans les années 90 à 70% aujourd'hui. Même recette en Allemagne, les syndicats étant vigilants sur la formation tout au long de la vie professionnelle, les salariés allemands partent en retraite à 65 ans et 10 mois (67 ans demain) sans passer par la case chômage.
Qu’attendons-nous en France pour former à temps les seniors et ainsi les maintenir dans l'emploi ?